Un téléviseur où l'image, légèrement déréglée, se fragmente en plusieurs strates verticales tout en se mettant à vaciller? Voilà une façon d'illustrer les univers singuliers de la cinématographie d'André Forcier. Des univers décalés dans lesquels ses acteurs fétiches adorent se replonger. Comme dans Coteau rouge, son nouveau long métrage.

Lorsque le cinéaste André Forcier amorce un nouveau film, c'est un peu la rentrée des classes. Parce que, d'une oeuvre à l'autre, de nombreux comédiens et techniciens reviennent à lui. La comédienne Céline Bonnier, qui en est à sa quatrième collaboration avec le réalisateur, est de cette famille-là.

Lorsqu'on suggère l'idée d'une rentrée pour qualifier l'état d'esprit sur un plateau de Forcier, la comédienne sourit. Et précise: «C'est peut-être plus une récréation qu'une rentrée des classes. Tu as l'impression que tu n'auras pas trop de devoirs à faire. André va chercher des gens qui sont un peu de sa famille. Il sait qu'ils y seront, même si le budget est petit. Car eux savent qu'un film de Forcier, ça nourrit l'âme. Ils trouvent important d'accompagner cet artiste. Moi, je me sens privilégiée de travailler avec lui.»

Dans Coteau rouge, la comédienne incarne Hélène, femme issue d'un milieu modeste mais qui adore sa position de nouvelle riche depuis qu'elle est en couple avec Éric Miljours (Roy Dupuis), promoteur immobilier véreux qui rachète les maisons d'ouvriers du quartier pour les raser et construire de lucratifs immeubles à appartements.

Nimbés de bonheur, les tourtereaux attendent la venue de leur premier enfant... que porte Micheline (Louise Laparé), mère d'Hélène, cette dernière refusant d'abîmer son corps.

Autour d'eux gravitent des personnages aussi singuliers que colorés. Il y a Honoré (Paolo Noël), chef de clan et ancien vidangeur de cadavres; Fernand (Gaston Lepage), garagiste fou de pétanque; Henri (Mario Saint-Amand), ancien boxeur amoureux de sa femme Estelle, mourante (Hélène Reeves); Marine (Bianca Gervais), hilarante voisine d'Hélène qui a marié Jason Singleton (Antony Lemky), joueur de hockey de second ordre, dans le but de payer ses prêts étudiants.

Le tout est campé dans Coteau rouge, quartier ouvrier de Longueuil. Dans la réalité, c'est là où demeure Forcier. Dans ce portrait, où «on est sans pitié avec les snobs», assure le réalisateur, il y a un hommage à la solidarité. «C'est quelque chose que je vis au quotidien, assure-t-il. Mais la solidarité est aussi un prétexte pour aller ailleurs, dans la saga mythique d'une famille québécoise.»

Comme bien d'autres, Roy Dupuis classe André Forcier dans la catégorie des cinéastes - Fellini en tête - capables de créer des univers particuliers. Toute la beauté du cinéma est là, croit le comédien qui tourne avec Forcier pour la troisième fois. «Tu sais que tu n'es pas dans la réalité, mais tu sais que ça en parle, s'exclame Dupuis. Pour moi, c'est l'idéal. Moi, je veux être surpris par les scénarios. C'est ce que j'attends des cinéastes: qu'ils nous surprennent, nous emmènent ailleurs, nous apportent un nouveau point de vue.»

Il va plus loin, affirmant qu'il ne se bat pas pour décrocher tel ou tel rôle. «C'est l'histoire qui compte, pas le rôle, affirme-t-il. Sinon, on est des bêtes de cirque, on fait de la performance.»

La petite histoire

Tant Roy Dupuis que Céline Bonnier reconnaissent à Forcier sa rare capacité à raconter l'histoire du pays à travers l'angle des petites gens et d'anecdotes sympathiques. Un autre trait de caractère qu'ils affectionnent.

«Ce que j'aime de son univers est qu'il s'inspire de la petite histoire, poursuit Roy Dupuis. André est un historien incroyable. Tu l'écoutes raconter d'où viennent ces histoires. Il se souvient des dates, des noms... Il te raconte ça avec précision. Il déterre la petite histoire. Et c'est la petite histoire qui fait la grande.»

Son personnage d'Éric Miljours? Il l'adore. «C'est un peu le méchant du film, lance-t-il, sourire en coin. Ce sont souvent des personnages plus le fun à interpréter que les gentils. Ils sont plus colorés. Alors que les gentils n'ont rien de particulier. Il est donc plus difficile de les rendre intéressants. Tandis que les fuckés sont des rôles de composition. Ils sont déjà spéciaux, donc plus faciles à rendre intéressants.»

La réflexion trouve écho chez Céline Bonnier. «Sans vouloir la juger, je trouve que mon personnage d'Hélène est nunuche, lance-t-elle. Elle a de drôles de valeurs. Comme de ne pas vouloir altérer les contours de son corps tout en jouant sa grossesse. C'est tout croche! Mais ce sont là les personnages de Forcier. Ils sont toujours un peu décalés tout en partant de la réalité. Ils s'exagèrent un peu eux-mêmes.»

Coteau rouge sort en salle vendredi prochain.