Philippe Lesage s'est imposé dans le paysage cinématographique québécois grâce à Ce coeur qui bat, lauréat de deux prix importants aux dernières Rencontres internationales du documentaire de Montréal. Son exploration poétique et dépouillée du quotidien de l'hôpital Hôtel-Dieu de Montréal révélait la vision d'un cinéaste confiant et ambitieux, désireux de remettre en question les préceptes d'un format au potentiel esthétique souvent inexploité.

«Le documentaire, c'est souvent pamphlétaire, c'est souvent là pour véhiculer une idée, en faire la démonstration. Je trouve que les documentaires ressemblent aujourd'hui à de longs reportages télé», estime le réalisateur de 36 ans en entrevue à La Presse.

Lesage, qui se décrit comme un «romantique réaliste», pratique un style contemplatif, ponctué d'envolées musicales et affranchi de toute structure narrative linéaire, qui évoque les films d'art et d'essai à l'européenne.

«Il y a une intention chez moi de magnifier le réel, précise-t-il. Pas parce que je ne veux pas montrer la réalité, mais plutôt parce que j'ai envie d'en faire ressortir les beautés secrètes, de laisser de la place pour que l'imprévisible se manifeste.»

Dans la chambre des filles

L'imprévisibilité de l'aventure humaine sera justement au coeur du prochain long métrage de Lesage, qui se penchera sur l'univers d'un groupe d'adolescentes préparant leur entrée dans le monde des adultes. Il observera en particulier le quotidien de Laurence, 17 ans, la jeune patiente atteinte d'arythmie cardiaque qu'on a découverte vers la fin de Ce coeur qui bat.

Intitulé Laylou, en référence au surnom de la protagoniste, le documentaire sera construit sous forme de tableaux: Laurence au bal des finissants, Laurence sur le terrain de soccer, Laurence dans un party de sous-sol... Le tournage débutera le 22 juin à Mont-Saint-Grégoire, en Montérégie.

Le projet est né du désir d'entrer dans «la chambre des filles», décrit Lesage. «C'est un monde de secrets et d'échanges auquel nous, les hommes, n'avons pas accès. Lieu de découverte de l'autre, donc, dans sa différence et dans ce que nous avons en commun. Et lieu de résonance pour toutes celles qui sont passées par là.»

Rétrospective précoce

C'est à l'âge de 7 ans, après avoir vu E.T. de Steven Spielberg, que Philippe Lesage s'est pris de passion pour le septième art. Après un bac en littérature à l'Université McGill, le natif de Saint-Agapit a mis le cap vers le Danemark où, en pleine fièvre du Dogme 95, il a suivi un cours de cinéma intensif à l'European Film College. De retour à Montréal, Lesage a occupé quelques boulots de subsistance, notamment dans la production télé et la publicité. Désenchanté, il a repris l'avion.

C'est à Paris qu'il a réalisé son premier long métrage documentaire, Pourrions-nous vivre ensemble? (2006), portrait intimiste en noir et blanc de la jeunesse issue des banlieues parisiennes ponctué d'entretiens avec le sociologue français réputé Alain Touraine. A suivi Comment savoir si les petits poissons sont heureux? (2009), plongée nocturne dans la vie urbaine pékinoise qui, dans ses meilleurs moments, réussit à révéler «le côté épique de la banalité», pour reprendre un credo cher à Lesage.

Ces deux oeuvres, orphelines de distributeur, ont été présentées en première mondiale le mois dernier à la Cinémathèque québécoise dans le cadre de la rétrospective Découvrir Lesage. Fabrice Montal, programmateur de l'institution, n'a pas hésité à l'organiser. «Il y avait là un auteur accompli qui donne, sur trois longs métrages, l'image d'une cohérence et d'une démarche tout à fait singulière, et qui méritait d'être mis au grand jour», croit M. Montal.

L'appel de la fiction

Après Laylou, qui devrait prendre l'affiche l'hiver prochain, Lesage se tournera vers le cinéma de fiction. Il travaille sur deux projets à consonance personnelle. Le premier, inspiré de son expérience en tant que professeur à l'European Film College, explorera les «amours impossibles» de trois soeurs danoises. Le second est un «film d'horreur autobiographique» basé sur son enfance à Longueuil, avec comme toile de fond une vague de kidnappings d'enfants qui a secoué la métropole au milieu des années 80.

Malgré le changement de format, Lesage ne compte pas changer son approche du métier pour autant. «Je ne fais pas de distinction entre le documentaire et la fiction, dans le sens que ça se doit de demeurer du cinéma; la capacité de saisir des sensations qui sont fortes», conclut-il.