Après The Trotsky, le réalisateur Jacob Tierney renoue pratiquement avec la même équipe dans Good Neighbours, thriller campé à Notre-Dame-de-Grâce durant le référendum de 1995. Si les deux films sont aux antipodes, ils nous entraînent chaque fois sur des sentiers méconnus.

Il y a un peu de Jacob Tierney dans Léon et Victor, les deux personnages-clés des films The Trotsky sorti l'an dernier et Good Neighbours, thriller adapté du roman Chère voisine de Chrystine Brouillet.

En entrevue, Tierney tient à peine en place. Il s'enthousiasme, parle vite, agite les bras constamment, emporté par un fleuve d'idées, d'émotions et d'opinions. Souriant, attentif et disponible, ce jeune homme est entier.

En ce sens, on ne s'étonne pas de l'entendre dire que du roman où il a puisé la matière de son film, ce sont les personnages qui l'ont séduit. Des personnages forts avec des caractères très définis et qui, foi de Tierney, ne sont pas toujours sympathiques. Il affirme même que s'il existait dans la vraie vie, il ne voudrait pas de Victor (Jay Barichel) comme ami.

«Victor dit n'importe quoi, balance le réalisateur, dodelinant la tête en signe de désapprobation. Il passe continuellement son temps à mentir. Il y a aussi Louise (Emily Hampshire) qui fait des choses que les femmes ne font pas normalement. C'est la femme fatale qui ne sait pas qu'elle est une femme fatale. Et il y a Spencer (Scott Speedman), ce grand séducteur à la Valmont, un vrai manipulateur.»

Dans la vingtaine, Victor, Louise et Spencer sont locataires dans un immeuble un brin crado de Notre-Dame-de-Grâce. Célibataires, ils forment un curieux trio amical tirant sur le triangle amoureux. Le tout est campé en pleine période référendaire, mais surtout alors que le quartier est secoué par une série de meurtres de jeunes femmes rapportés par les journaux. Qui est le vrai coupable? Est-ce un de ces trois individus qui se cachent l'un à l'autre le côté sombre de leur vie? Le scénario nous entraîne sur des pistes qui prennent toutes sortes de directions inattendues.

Oui ou Non

Publié en 1982, le roman Chère voisine situe plutôt l'action à Québec. Pourquoi avoir décalé l'histoire dans le contexte sulfureux d'octobre 1995. «Parce que j'ai lu l'ouvrage exactement à ce moment-là, répond Tierney. Il y avait alors une atmosphère très particulière, déprimante, dans NDG. De nombreux commerces étaient fermés, il n'y avait pratiquement personne dans les rues. Cette partie de la ville ne se sentait pas bien. J'ai voulu recréer ça. Ce n'est pas sans raison si la majorité de mes plans sont vides, mis à part les personnages du film.»

Ici, la question référendaire n'est pas abordée d'une façon manichéenne. En fait, elle sert davantage de décor, de paysage dans l'histoire, et ce, même si le personnage de Valérie (Anne-Marie Cadieux) lance quelques remarques acrimonieuses sur ses voisins anglos.

Visibles sur les panneaux accrochés aux lampadaires, le Oui et le Non des camps adverses illustrent davantage les deux choix, primaires, face auxquels se retrouve Louise. «C'est très freudien, mais ce n'est pas politique, assure Tierney qui, rappelons-le, a fait parler de lui il y a quelques mois en disant haut et fort que les films québécois ne reflétaient pas la diversité culturelle du Québec. Mon film n'est pas un film politique. C'est un film de genre où l'on peut s'amuser à utiliser tout ce qui nous entoure.»

Si le référendum constitue ici un élément lointainement subordonné à l'histoire, le prochain projet de Tierney risque de prendre la question identitaire du Québec davantage de front. Car il travaille sur l'adaptation du roman The Good Terrorist de Doris Lessing dans lequel de jeunes squatteurs de Londres joignent les rangs de l'Armée républicaine d'Irlande (IRA). Dans son film, ce seront plutôt de jeunes anglophones qui, durant la crise d'octobre 70, décident de former leur propre cellule révolutionnaire. Ça promet!

Good Neighbours sort en salle, en anglais, le 3 juin.

Comme son ami Jacob Tierney, le comédien Jay Baruchel est originaire de Notre-Dame-de-Grâce où il demeure toujours en dépit (métier oblige) de ses nombreux déplacements en Amérique du Nord. De son personnage de Victor dans Good Neighbours, il dit qu'il est «l'émotion à l'état pur». «Lorsqu'il croit à quelque chose, il n'y a rien pour lui faire changer d'idée, expose-t-il. Il n'est pas tout à fait là. Il vit dans sa tête. Avec cette fille (Louise), par exemple, dont il tombe amoureux, il veut tellement faire partie de sa vie qu'il se convainc qu'en parlant d'elle de cette façon à d'autres personnes sans son consentement, elle va finir par en faire partie.» Baruchel voit des similitudes avec Léon, personnage qu'il interprétait dans le précédent film de Tierney, The Trotsky. «Tous deux sont des mecs très intelligents, avec un fort QI, dit-il. Avant tout, ce sont des penseurs, mais ils sont à la merci de leurs sentiments.»