«Pendant des jours, j'ai pleuré de bonheur», me dit Niels Schneider, un verre de rosé à la main, dans une terrasse à l'écart de la Croisette. L'acteur québécois s'est faufilé incognito dans les rues de Cannes jeudi soir, après la projection gala de Restless, de Gus Van Sant. Tout le contraire d'Adrian Brody, au bras d'une plantureuse blonde, accosté par les chasseurs d'autographes.

Niels Schneider, révélé sur la scène internationale grâce aux Amours imaginaires de Xavier Dolan, risque bientôt de perdre son anonymat. Le comédien doit recevoir aujourd'hui, des mains de Robert De Niro, le prestigieux Trophée Chopard.

Remise au Festival de Cannes depuis 10 ans, cette récompense souligne le talent de deux jeunes comédiens, jugés les «révélations» masculine et féminine de l'année au cinéma. Diane Kruger, Marion Cotillard, Audrey Tautou, Ludivine Sagnier, Gael Garcia Bernal, Jonathan Rhys Meyers, Hayden Christensen et autres Léa Saydoux ont reçu ce prix (un bout de pellicule dorée) depuis sa création. C'est dire à quel point l'honneur fait à Niels Schneider est exceptionnel.

«Quand j'ai appris que j'allais recevoir le prix, il y a un mois et demi, j'ai cru que c'était un poisson d'avril, me confie l'acteur de 23 ans. Ma mère ne m'a pas cru non plus quand je lui ai annoncé. Elle m'a dit: Ne les crois pas, ce n'est pas possible. Quand tu vois la liste des lauréats, c'est sûr que t'en reviens pas...»

Les deux lauréats du Trophée Chopard, créé en 2001 par le célèbre joaillier de la Palme d'or, ont été désignés cette année par un jury composé de la coprésidente de Chopard, Caroline Gruosi-Scheufele, de la comédienne Marisa Berenson, du réalisateur Claude Lelouch, du producteur Takis Candilis et du rédacteur en chef du magazine Première, Mathieu Carratier.

L'actrice franco-espagnole Astrid Bergès-Frisbey, à l'affiche des nouvelles aventures de Pirates of the Caribbean, est la lauréate féminine du prix. Aucune candidature requise. Que les coups de coeur du jury, parmi tous les jeunes acteurs de la planète. Excusez du peu. En constatant le parcours des anciens lauréats, on mesure à quel point les jurés ont eu du flair.

Cela, évidemment, est d'excellent augure pour Niels Schneider qui vit, c'est un euphémisme, un conte de fées depuis qu'il a décidé en janvier de tenter sa chance à Paris, sa ville natale, qu'il a quittée pour Montréal à l'âge de 8 ans.

«Ce qui fait le plus plaisir, c'est que c'est un prix pour l'avenir, dit-il. Une façon de dire: On croit en toi. Je ne serais pas là si ce n'était de Xavier. J'ai tué ma mère, et surtout Les amours imaginaires, m'ont fait connaître d'un certain public cinéphile et de plusieurs metteurs en scène.»

Schneider, avec son physique d'éphèbe et son visage de chérubin, son allure de jeune dandy débonnaire et son sourire désarmant, est l'une des nouvelles coqueluches des agences de casting françaises. Le téléphone de son agent parisien ne dérougit plus. Et ça ne fait que commencer.

Il a fait des essais, récemment, avec Michael Haneke et François Ozon. Haneke croyait qu'il était plus vieux. Ozon espérait qu'il puisse jouer un personnage plus jeune. «François Ozon m'a dit qu'il faisait un film par année et qu'il aimerait bien me confier un rôle un jour», dit-il en tirant sur une Gitane.

Niels Schneider mène de son propre aveu une «vie de nomade». Il n'a plus d'agent à Montréal, n'a plus vraiment de chez-lui. Des amis de ses parents lui prêtent un appartement à Paris. «Il est presque vide. J'ai acheté une sono. Il y a une table et des chaises. Je ne serai pratiquement pas là cette année.»

Son agenda est en effet rempli jusqu'en mars 2012. Après son passage éclair à Cannes, il tourne lundi matin à Paris une scène («de sexe torride») pour l'adaptation française de la série Skins, puis part en après-midi un mois à l'île de La Réunion, pour le tournage d'un téléfilm de Gabriel Aghion (Le libertin), Un autre monde, avec Dominique Blanc.

Il compte profiter d'une pause estivale à Montréal, afin de retrouver parents et amis et participer au premier court métrage de son jeune frère, Aliocha, 17 ans. Il doit ensuite se rendre au Portugal pour l'adaptation en 12 épisodes de L'odyssée d'Homère, qui sera diffusée à Arte, et participer au prochain long métrage d'Étienne Faure, Désordres, dans lequel il campe un dangereux manipulateur.

Ses yeux s'illuminent lorsqu'il est question du premier film de la scénariste de Joyeux Noël, Aude Py, Les ombres rouges, dans lequel il tient le premier rôle. «C'est le plus beau scénario que j'ai lu de ma vie», dit-il. Le tournage doit avoir lieu l'hiver prochain.

Bien sûr, le parcours de ce jeune acteur, aperçu la première fois au cinéma dans Tout est parfait, est peu banal. Mais on ne s'en étonne pas outre mesure tellement il fait partie d'une génération de Québécois décomplexés, menant naturellement une carrière à l'étranger.

À l'instar de Marc-André Grondin, qui lui a offert des conseils il y a quelques semaines, de son ami François Arnaud, pour qui J'ai tué ma mère a ouvert les portes des États-Unis, et de Xavier Dolan, actuellement entre deux blocs de tournage de son prochain long métrage, Lawrence Anyways. «Je pense qu'effectivement, nous appartenons à une génération moins repliée sur elle-même que les précédentes», dit-il.

Craint-il les effets d'une célébrité instantanée en France, où le culte des «personnalités» est plus marqué qu'au Québec? «C'est sûr que ça me fait freaker. Mais quand tu veux être acteur, ça vient un peu avec le métier. Je suis très détaché du show-business français, qui est vraiment effrayant. Tous les clichés sont là.»

Niels Schneider compte aujourd'hui profiter pleinement de sa chance. Et de sa rencontre avec Robert De Niro, un homme de peu de mots (un autre euphémisme). «Je vais essayer de lui tirer au moins une phrase. Comme ça, je pourrai dire que j'ai déjà donné la réplique à De Niro!»

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