Dans une semaine, Nicolas Roy sera à Cannes pour accompagner son court métrage Ce n'est rien, sélectionné en compétition officielle avec huit autres films. Mais pendant toute la durée du festival, plus d'une centaine de films québécois seront disponibles au Short Film Corner, immense marché du court, dont 12, qui seront «poussés» par la SODEC.

L'industrie des courts métrages québécois est en mode «survie». C'est le moins qu'on puisse dire.

Financement famélique. Production déficitaire. Diffusion limitée. Malgré les nombreux festivals (ici et à l'étranger), les diffusions sur l'internet (notamment sur tou.tv et onf.ca), les coproductions et les rares projections en salle, les jeunes cinéastes peinent à se frayer un chemin. D'où l'importance des grandes manifestations comme celles de Cannes.

Au Québec, Danny Lennon est l'un des plus ardents promoteurs de courts métrages. Le directeur de Prends ça court! a mené la sélection des films qui seront disponibles à Cannes. Il est également l'un des cinq programmateurs du Short Film Corner, ce marché qui réunit tous les «eurs» sur la Croisette: distributeurs, sélectionneurs, producteurs, réalisateurs.

Selon lui, la présence de cinéastes québécois à Cannes est essentielle à la diffusion des films. «Ça peut vraiment changer une vie», soutient-il. D'être là en personne, de rencontrer les gens de l'industrie. Parce qu'ici, c'est difficile. Le budget des courts métrages à la SODEC est pratiquement inchangé depuis 10 ans, la diffusion télévisuelle est presque inexistante, les DVD de courts métrages sont introuvables, les subventions aux festivals sont à la baisse, c'est difficile.»

Nicolas Roy dans le radar

L'an dernier, le quatrième film de Nicolas Roy, Jour sans joie (mis en vedette par la SODEC), s'est fait remarqué au Short Film Corner de Cannes par Réal Chabot, de la boîte Films de boulevard. C'est lui qui aujourd'hui finance son projet de long métrage, en cours d'écriture (sous le titre de travail Désolation). «C'est sûr que ce marché-là nous donne de la visibilité. Notre film peut être placé dans des festivals importants, repéré par des producteurs, et être mieux diffusé.»

Nicolas Roy, qui se rendra à Cannes pour la première fois avec ses producteurs de Voyous, travaille comme monteur d'images pour la télé et le cinéma. Son film Ce n'est rien, a été financé par les Conseil des arts. Avec cette sélection, il fait partie des happy few à vivre l'aventure cannoise. «J'étais vraiment surpris, dit-il. J'ai appris la nouvelle en écoutant la radio un lundi matin.» En 2008, Denis Villeneuve avait été récompensé pour Next Floor (prix Canal +).

Ce n'est rien, comme ses précédents films, aborde le thème de la mort, au sens large. Une obsession, avoue-t-il. «C'est un véhicule de tension formidable. J'aime explorer les réactions humaines violentes et irrationnelles qui découlent de situations extrêmes. Des réactions, au fond, imprévisibles», résume-t-il.

Cette fois, un père de famille, interprété par Martin Dubreuil, apprend que sa petite fille a été agressée sexuellement. On le voit avec elle chez le médecin, puis chez son propre père, probable agresseur. Jusqu'où ira-t-il pour satisfaire son désir de vengeance? Le réalisateur de 37 ans ne donne pas toutes les réponses et laisse au spectateur le soin d'interpréter la fin du film.

«Au fond, je suis parti d'un fait divers, explique Nicolas Roy. D'un enfant victime d'inceste, comme il y en a beaucoup. Un jour, une femme a appris que son chum avait agressé son enfant (pas le sien, mais celui du chum). Elle a décidé de le quitter. Elle a réglé ça à l'amiable. Ça m'a interpellé. Je me suis demandé ce que j'aurais fait, moi. Tout est parti de là.»

12 autres courts québécois

Des 12 réalisateurs de films qui seront disponibles au Short Film Corner, 10 seront à Cannes. Parmi eux, Chloé Robichaud, qui en sera à sa deuxième présence sur la Croisette. L'étudiante de l'INIS sera accompagnée du producteur Laurent Allaire. Ensemble, ils feront la promotion du film Nature morte, qui met en vedette Sophie Desmarais, Mélissa Désormeaux-Poulin et Sébastien Huberdeau.

Le film raconte une journée dans l'unité des soins palliatifs d'un petit hôpital de région. Beaucoup de pistes d'interprétation possibles au terme de ce film aux teintes grises, tourné dans une lenteur angoissante.

Francis Leclerc, qui a fait une quarantaine de courts métrages avant de réaliser ses trois longs métrages, refait le plongeon dans le court. Il a coréalisé le film Trotteur en s'inspirant du récit d'Alexis dit le trotteur, ce simple d'esprit (né en 1860 dans la région de Charlevoix), qui courait, dit-on, plus vite que les chevaux. Le film aux effets visuels saisissants fait aussi partie de la sélection de la SODEC. Le cinéaste croit que, malgré les difficultés de l'industrie, le web a eu un effet de levier extraordinaire sur la production de courts métrages.

«Le budget importe peu, dit-il. On s'adapte. Moi, j'en ai fait des courts métrages dans les années 90, mais pour combien de spectateurs? Il n'y avait presque aucune diffusion.»

Les artisans de courts métrages s'occupent aussi à produire des web séries comme En audition avec Simon et Temps mort. Ces émissions web comptent parmi leurs artisans des réalisateurs de courts métrages. «C'est là que se trouve le financement en ce moment, avoue Vuk Stojanovic (qui a produit le film Score réalisé par Lawrence Côté-Collins). Mais il faut qu'on nous donne aussi les moyens de continuer de faire des courts métrages. Il faut améliorer la diffusion.»