Les petits mouchoirs de Guillaume Canet est loin d'être un chef-d'oeuvre. C'est un film qui s'éparpille et s'égare. Un film trop long, parfois caricatural, dans la construction des personnages et le jeu des comédiens surtout, qui emprunte, sans toujours bien les assimiler, les codes du cinéma hollywoodien.

C'est une oeuvre sur l'amitié et l'amour, la fraternité et la famille (celle que certains se créent parfois, à défaut de mieux), qui fait inévitablement penser à The Big Chill de Lawrence Kasdan.

La bande d'amis qui se retrouve après un drame, l'émotion à fleur de peau, pour se dire ses quatre vérités. Les reproches inavouables, les secrets enfouis, les désirs et les scrupules, les manies insupportables: tout est soudainement étalé au grand jour.

Ce film choral sympathique et engageant, «qui fait rire et pleurer», a touché une véritable corde sensible auprès du public français, au point de devenir le long métrage le plus populaire de 2010 dans l'Hexagone.

Les petits mouchoirs - j'aurais dû m'en douter -, malgré tous ses défauts, m'a fait pleurer comme un veau. J'en ai été complètement désemparé, les larmes ruisselantes, le souffle court, la voix geignarde, me laissant aller à l'émotion brute pendant une dizaine de minutes, alors que défilait le générique.

J'ai pleuré, oui, jusqu'à y trouver une forme de plaisir. Subjugué par l'émotion, heureux d'être ému aux larmes malgré le pathos surchargé d'un dénouement alambiqué et mélodramatique. Malgré des personnages dessinés au trait gras et des ressorts dramatiques parfois peu réalistes. Ou, justement, en raison de tout ça.

Il y a des effets, au cinéma, qui nous paraissent plaqués et maladroits. Dans certains contextes, ils nous passent bien loin au-dessus de la tête, nous indiffèrent sinon nous exaspèrent. Dosés différemment, dans d'autres contextes, ces mêmes effets ou mécanismes atteignent parfaitement leur cible, sans que l'on ne sache exactement ni pourquoi ni comment.

Je rappelle une évidence: la musique joue un grand rôle de catalyseur d'émotions au cinéma. Elle peut nuire à une séquence lorsqu'elle appuie trop peu subtilement une émotion. Mais dans ces moments de grâce où elle se trouve en symbiose avec tout le reste, la réalisation, le scénario, le montage, la photographie, elle peut transcender une scène pour en faire un «moment» de cinéma.

Il y a beaucoup de très bonne musique dans Les petits mouchoirs, choisie personnellement par Guillaume Canet. Des standards soul, rock et r'n'b des années 70 (The Isley Brothers, Gladys Knight, Bowie, Janis Joplin, CCR) et des chansons plus récentes (d'Antony and the Johnsons, notamment). La musique est exclusivement en anglais, ce qui en a irrité certains, dont mon collègue Marc-André Lussier (voir sa chronique d'hier), pour des raisons évidentes. Les petits mouchoirs est un film français. Il se fait de l'excellente musique en France. Pourquoi ce parti pris pour une bande originale anglo-saxonne?

Est-ce la musique qui m'a troublé et ému dans Les petits mouchoirs? Son utilisation à des moments opportuns dans le récit? Entre autres, oui. Ce qui nous remue n'est pas toujours visible à l'écran, ou audible dans une bande sonore. L'expérience cinématographique ne fait jamais abstraction des dispositions du spectateur. On lui rappelle une situation qu'il vit ou a vécue. On le laisse avec l'appréhension de ce qu'il pourrait avoir à subir un jour. On lui raconte une histoire qui n'a rien à voir avec sa réalité, mais qui, parce qu'il est mélancolique, ou euphorique, ou sensible, ou fatigué, ou jeune, ou vieux, ou malade, ou plus en forme que jamais, «vient le chercher».

Je ne vous apprends rien, bien sûr, en écrivant que l'importance des dispositions particulières d'un spectateur n'est pas négligeable dans son appréciation d'une oeuvre. Dans son rapport intime à un film. Parce que je suis de nature nostalgique, les films me renvoient souvent aux émotions qu'ils m'ont fait ressentir au moment précis où je les ai vus. À ce qu'ils ont représenté pour moi à différentes époques de ma vie.

Je me souviens, entre autres, avoir été particulièrement secoué par The Breakfast Club de John Hughes, à l'adolescence, parce qu'il me renvoyait à ce que je vivais, et d'autres autour de moi. Les invasions barbares, de Denys Arcand, a eu pour moi une résonance particulière parce que je voyais en Rémy Girard le portrait craché de mon père.

On ne peut pas faire abstraction de ces sentiments et de ces émotions quand on apprécie un film. Il reste que j'ai souvent été dérouté, dans l'analyse d'une oeuvre dont j'avais à faire la critique, par la charge émotive qui s'en dégageait.

J'ai été subjugué par la poésie d'In The Mood for Love en le découvrant à Cannes en 2000. Me donnerait-il autant de frissons aujourd'hui? (La réponse est oui...)

Ce n'est pas parce qu'un film nous émeut qu'il est réussi. Mais s'il nous émeut, c'est déjà ça de pris, non?

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