Ce n'est pas seulement la nouvelle de la réouverture de deux salles de cinéma. Pas seulement celle de la renaissance d'un lieu consacré au cinéma d'auteur, ni d'un éventuel projet d'agrandissement. L'annonce faite hier de toutes ces bonnes nouvelles pour le complexe eXcentris représente bien plus que ça.

C'est une promesse de jours meilleurs pour le cinéma d'auteur, international et québécois. Une bouée lancée à un naufragé pour lui éviter la noyade. C'est une grâce, à minuit moins une, pour un condamné à mort. J'exagère à peine.

Le Cinéma Parallèle, qui veille depuis 45 ans à la diffusion d'un cinéma de qualité à Montréal, reprend les rênes de la programmation du complexe eXcentris, où il a élu domicile il y a 12 ans. Les salles Cassavetes et Fellini seront reconverties en salles de cinéma, et deux autres salles, plus petites, devraient éventuellement voir le jour dans la cour arrière du complexe, afin d'assurer une diffusion à des films en fin de carrière.

C'est la bonne nouvelle que tout le milieu du cinéma attend depuis que Daniel Langlois a décidé, en janvier 2009, de donner une vocation multidisciplinaire à son complexe, après 10 ans de loyaux services à la cinéphilie.

Le 20 mars 2009, les deux plus grandes salles d'eXcentris ont cessé d'être utilisées exclusivement pour le cinéma. Depuis, le cinéma d'auteur est orphelin. Non seulement de salles, mais d'un lieu phare, d'un quartier général, d'une bougie d'allumage.

Tous ont regretté, il y a deux ans, la disparition de ce joyau de la cinéphilie, qui faisait l'envie de bien des villes, au pays et à l'étranger. Mais les impacts négatifs de la fermeture des salles d'eXcentris ont été sous-estimés, notamment par les distributeurs de films.

En raison de la soudaine pénurie de salles, plusieurs films d'auteur étrangers ou québécois ont dû quitter prématurément l'affiche, bousculés par des nouveautés. D'autres, que l'on aurait pu voir il y a quelques années, n'ont jamais été diffusés, faute de pouvoir trouver un public conséquent. Dans ses plus belles années, eXcentris comptait pour 40% à 50% des recettes totales du cinéma d'auteur étranger à Montréal. Le manque à gagner était énorme.

Ce n'est pas seulement un lieu de diffusion que les cinéphiles ont perdu il y a deux ans, mais un lien privilégié avec un certain type de cinéma. La fermeture d'eXcentris a provoqué une rupture avec nombre de cinéphiles montréalais qui, plutôt que de fréquenter d'autres salles, ont réduit leurs sorties au cinéma.

L'impact s'est aussi fait sentir sur le marché de la distribution de films d'auteur, en particulier étrangers. Les distributeurs sont devenus beaucoup plus prudents dans leurs acquisitions, certains ont considérablement diminué leurs activités internationales, d'autres n'ont plus misé que sur des valeurs sûres, si bien que nombre de très bons films étrangers n'ont jamais pris l'affiche chez nous.

Aujourd'hui, le complexe eXcentris n'est plus le pôle d'attraction qu'il a été, dans un tronçon du boulevard Saint-Laurent devenu comme lui moribond. Il aura fort à faire pour renverser la situation. Ce n'est pas gagné d'avance. Mais il est au moins permis d'espérer.

Il y a un an, le projet d'expansion d'eXcentris de trois à cinq salles, sous la gouverne du Cinéma Parallèle avec le soutien de Daniel Langlois, avait été refusé par le ministère de la Culture. Un comité de travail conjoint, composé de différents représentants du milieu, du Cinéma Parallèle, de la Société de développement Angus, de la Ville de Montréal et du gouvernement du Québec, a planché sur plusieurs versions modifiées et améliorées du projet.

On récolte enfin les fruits de ces efforts avec l'annonce d'hier. Heureusement. Car le temps presse pour le cinéma international au Québec. Depuis deux ans, l'offre cinématographique s'est grandement appauvrie, les films d'auteur étrangers ont connu une baisse de popularité dramatique et les distributeurs de films internationaux, échaudés par quelques échecs commerciaux, ne prennent plus de risques avec des oeuvres plus exigeantes.

Pendant 10 ans, eXcentris n'a pas été qu'un cinéma comme les autres, mais bien un fleuron de la cinéphilie, un déclencheur d'acquisitions pour les distributeurs, une Mecque pour les cinéphiles, qui s'y rendaient presque les yeux fermés.

Aujourd'hui, le cinéma étranger est une espèce pratiquement en voie de disparition au Québec. Le statut de la cinéphilie est particulièrement précaire. Les cinéphiles vieillissent et l'absence d'un pôle comme eXcentris a nui considérablement au renouvellement des troupes.

Reste à espérer qu'il soit possible de rattraper, au moins un peu, le temps perdu. Et à souhaiter que la bonne nouvelle printanière de la réouverture d'eXcentris puisse donner l'impulsion nécessaire afin que le cinéma d'auteur se porte bien, pour des années à venir.

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