Philippe Lesage avait un problème cardiaque qui l'a conduit aux urgences de l'Hôtel-Dieu de Montréal, où il a découvert un monde insoupçonné. Une fois guéri, le cinéaste y est retourné avec une caméra pour en tirer un documentaire.

Les urgences des hôpitaux, lieu désincarné, glauque et déprimant? Solution de dernier recours lorsque aucune clinique n'est ouverte? Sans doute. Mais aussi un endroit plein d'humanité, révélateur d'une certaine détresse humaine et grouillant d'une vie insoupçonnée.

Foi de Philippe Lesage, les urgences, c'est le vrai monde. Avec ses maux et ses mots. Ses maux de dos, de jambes, de coeur. Ses brûlures, foulures, fractures. Ses écorchures d'âmes, aussi. Car les maux des urgences, ce sont souvent aussi des mots de détresse, d'angoisse, de peine. Auxquels répondent des mots de réconfort et d'encouragement.

À l'occasion d'un séjour aux urgences de l'Hôtel-Dieu de Montréal, pour des problèmes de palpitations cardiaques, le cinéaste de 35 ans a découvert un terreau fertile au cinéma hyper réaliste et naturaliste qu'il affectionne.

À l'automne 2009, Lesage, rétabli, y est retourné pour tourner, seul avec sa caméra, principalement aux urgences et quelquefois sur les étages. Il en a tiré le documentaire Ce coeur qui bat. Lancé aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal en novembre dernier, le film a décroché deux prix: ceux de la meilleure oeuvre et du meilleur espoir en cinéma québécois ou canadien.

«Au départ, les urgences étaient un lieu qui m'effrayait, qu'on associe beaucoup à la morbidité, alors que j'ai eu l'impression qu'il y avait beaucoup de vie, raconte le cinéaste, qui a étudié et enseigné au Danemark. J'étais fasciné par le dévouement du personnel. J'entendais des bribes de conversations. J'écoutais les patients, les visiteurs. C'était un monde insoupçonné qui s'éveillait à moi et que je trouvais fascinant.»

Un monde où il y a autant de maux psychologiques que physiques, comme il le dit lui-même avec une certaine dose d'étonnement. «J'ai été surpris de voir qu'il y a autant de gens accablés de solitude.»

En effet! Certains passages du film sont très durs. «À quoi je sers? Je sers à rien», dit une femme handicapée qui, depuis longtemps, a «redonné sa liberté» à son mari. «Je voudrais bien arrêter, mais j'ai soif, j'ai soif, j'ai soif», dit un homme à propos de son alcoolisme.

Rythme lent

Ce coeur qui bat est un film lent. Un film qui va à contre-courant de ce que certaines séries télévisées ou films ont pu montrer des urgences avec un rythme endiablé, des gens qui courent partout, des informations médicales échangées par un personnel hors d'haleine.

Chaque plan est tourné dans des espaces exigus où patients, médecins et infirmières dialoguent (quand le patient n'est pas trop mal en point). Cela donne à l'ensemble une touche d'humanité, et le spectateur est amené bien davantage à écouter qu'à juger. Philippe Lesage, lui, veut amener ce spectateur à réfléchir, que ce soit sur sa propre condition ou sur le travail remarquable du personnel médical.

«J'ai discuté avec des gens de télé qui jugeaient mes plans trop longs, observe-t-il. Moi, je trouvais que j'aurais manqué de respect envers les patients en allant seulement chercher la petite «clip» la plus sensationnaliste. En prenant le temps d'être avec eux, on les accompagne dans leur souffrance ou, parfois, dans des choses moins graves.»

C'est aussi par volonté de laisser «respirer» l'histoire qu'il n'y a jamais d'échanges entre les protagonistes de son film et lui ou de narration hors champ.

«Je ne voulais pas intervenir pour guider le spectateur, dit-il. D'ailleurs, le cinéma que j'apprécie est celui qui nous laisse beaucoup de liberté. J'ai l'impression qu'on nous prend trop souvent par la main. On infantilise le spectateur et on fait du cinéma où on lui dit explicitement quelle émotion éprouver dans une scène. Ce qui ne nous permet pas d'être créatifs.»

Le film n'est pas que déprimant. Il est émaillé de notes d'espoir et même de guérison. Comme avec cette jeune fille lumineuse que l'on voit dans les derniers instants du film.

Or, cette adolescente, Laylou, sera au coeur du prochain projet documentaire de Philippe Lesage. Il veut filmer un groupe d'élèves de cinquième secondaire dans leurs dernières semaines avant leur bal de fin d'études. Un superbe sujet, dense et prometteur.

Ce coeur qui bat est présentement à l'affiche au Cinéma Parallèle.