Le marché québécois de la vente et de l'achat d'entreprises n'a jamais été aussi actif. Des entrepreneurs veulent vendre, d'autres cherchent à acheter. Des entreprises d'ici passent à des contrôles étrangers. La Presse a interviewé des experts et des entrepreneurs, des acheteurs et des vendeurs. Voici le troisième d'une série de huit textes sur les transferts d'entreprises.

À défaut de pouvoir compter sur ses enfants pour prendre la relève, un entrepreneur peut se tourner vers sa deuxième famille, c'est-à-dire les gens qui travaillent pour lui. Passer le flambeau aux cadres ou aux employés de son entreprise est une avenue intéressante qui peut redynamiser une équipe et solidifier les assises d'une organisation. Pourvu, bien sûr, que le processus soit mené dans les règles de l'art. Le consultant montréalais Robert Lafond nous explique comment s'y prendre.

Selon lui, il existe quatre étapes dans la préparation d'un rachat d'entreprises par les cadres ou les employés. Les deux premières étapes de ce que les anglophones appellent un management buyout doivent être accomplies avant même qu'on ait identifié les repreneurs.

«Il faut d'abord analyser l'entreprise dans son ensemble. Puis voir quels sont les risques de continuité. Il faut se demander où se situe l'entreprise par rapport à la concurrence, vérifier la moyenne d'âge de l'équipe, ce qui a fait son succès, etc.», explique Robert Lafond, spécialiste depuis 30 ans en transfert intergénérationnel chez Lafond et associés.

Une fois les réponses obtenues, le consultant suggère, en guise de troisième étape, «de faire l'inventaire du bassin de relève potentiel». C'est à ce moment que le ou les dirigeants de l'entreprise doivent choisir leurs dauphins. «Dès lors, on aide les repreneurs à aiguiser leur réflexe de développement. Ça permet de voir s'ils souhaitent devenir des gens d'affaires. C'est là qu'on voit s'ils ont de l'intérêt ou pas. Ensuite, on trace un échéancier et on gère des échéances», dit Robert Lafond.

Dans la foulée, le spécialiste recommande d'ailleurs la création d'un comité de continuité. «Et la clef, croit-il, c'est d'intégrer ce comité dans la structure de gouvernance. Le comité de continuité doit être vivant. Il doit être aussi important que le conseil d'administration, le conseil des associés ou le comité directeur.»

Rigueur

Enfin, il faut beaucoup de rigueur dans un processus de relève à l'interne, affirme Robert Lafond. «La dernière étape consiste à faire preuve de discipline. Il faut faire un suivi, sinon rien ne se passe.

Le transfert intergénérationnel est une chose qui ne se délègue pas. Il doit être pris en charge par le ou les cédants. Les comptables, les avocats et les consultants peuvent apporter leur aide, mais ils ne peuvent pas faire le travail à la place du chef d'entreprise. Mon rôle est d'assurer que tout le monde respecte ses échéances qui, habituellement, s'échelonnent sur cinq à sept ans», explique-t-il.

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Vendre à des étrangers? Non merci!

Sylvain Labarre, de l'agence de publicité Lg2 de Montréal, a reçu plusieurs offres alléchantes. Des investisseurs étrangers voulaient acheter son entreprise, ce qui l'aurait considérablement enrichi ainsi que ses associés . L'homme d'affaires a préféré vendre sa boîte de pub à certains de ses employés.

«Nous avons fait ce choix pour deux raisons. Tout d'abord, par respect pour les gens qui nous ont aidés à bâtir l'entreprise. C'était logique de les intégrer dans la relève. Aussi, nous voulons que Lg2 demeure un château fort au Québec. Avec une entreprise étrangère, il y aurait eu un changement de culture. Le quantitatif aurait pris le dessus sur le qualitatif», explique Sylvain Labarre, président de Lg2.

M. Labarre, la mi-cinquantaine, a fondé Lg2 il y a 20 ans avec son associé Paul Gauthier. La PME de 160 employés possède des bureaux à Montréal et à Québec. Ses revenus frôlent les 20 millions. Parmi ses clients: Bell, Hydro-Québec et Desjardins.

Plus la PME du boulevard Saint-Laurent prenait du galon, plus il devenait criant de trouver de nouveaux associés. «Notre force, c'est la complémentarité des associés. Nous avons donc voulu recréer la même synergie en allant chercher notre relève à l'interne», explique Sylvain Labarre.

Ce faisant, quatre repreneurs ont été sélectionnés, de même qu'une dizaine de «sous-repreneurs». Le processus a été enclenché il y a huit ans. Sylvain Labarre compte rester en poste encore cinq ans, le temps que la passation se fasse harmonieusement.

Fait intéressant: les repreneurs n'ont eu rien à débourser dans le processus. «Nous avons créé l'entreprise Lg2345 qui appartient aux associés de la relève. Cette entreprise reçoit des dividendes de Lg2 qui servent à rembourser un prêt consenti par une institution financière. Personne n'a eu à mettre sa maison en garantie», dit Sylvain Labarre.

Outils

La relève en entreprise est un sujet d'actualité au Québec. Pas étonnant qu'un nombre grandissant de gens s'y intéressent. Certains entrepreneurs ont même publié des livres afin de partager leurs expériences personnelles.

C'est le cas de Nathalie Croft dont l'ouvrage Choisir son associé ou sa relève est disponible depuis quelques mois. Cette Saguenéenne s'est donnée pour mission de «sauver le Québec» !

«Environ 80% des entreprises québécoises comptent moins de 20 employés. Elles n'ont donc pas les moyens de s'offrir les services d'un consultant pour préparer leur relève. La plupart du temps, elles n'ont même pas le temps d'y penser et se réveillent trop tard. Je veux les aider», dit l'ancienne femme d'affaires.

L'ouvrage de 69 pages compte des exercices et des informations traitant des aspects financiers, stratégiques, légaux, fiscaux et humains reliés à la vente de son entreprise.