Votre entreprise n'est pas assez productive à votre goût et vous vous êtes attaqué à la rédaction d'un plan tout neuf.

Il redéfinit les objectifs et priorités en tenant compte de l'environnement concurrentiel où vous êtes.

Vous êtes très fier de ce nouveau plan stratégique. Eh bien, n'allez pas le montrer à Denis Chênevert, professeur en gestion des ressources humaines à HEC Montréal. Vous pourriez être déçu.

«Sans minimiser l'importance du plan stratégique comme guide général, ça reste tout de même fondamentalement un bout de papier. Ça devient un outil de gestion seulement si les cadres et gestionnaires de l'entreprise y adhèrent. Et non seulement doivent-ils y adhérer, mais ils doivent aussi le traduire pour leurs employés en nouveaux comportements à adopter par eux. Seulement alors vos chances de succès viennent-elles d'augmenter.»

Et cette adhésion des cadres et gestionnaires au nouveau plan stratégique, comment s'y prendre pour l'obtenir?

«D'abord, explique Denis Morin, professeur de gestion des ressources humaines à l'École des scienes de gestion de l'UQAM (ESG), il faut que chaque employé et, à plus forte raison, chaque cadre perçoivent le plan comme bon pour lui.

«Chacun doit estimer que c'est une occasion en or d'acquérir de nouvelles compétences et de s'élever dans l'échelle des savoirs d'entreprise.»

Pour que ce message passe, la haute direction doit faire preuve de leadership et donner l'exemple de changement d'attitudes et de comportements.

Denis Chênevert donne comme modèle l'attitude de Raymond Royer chez Domtar.

«Dans le secteur papetier, Domtar était bonne dernière, derrière toutes ses concurrentes. M. Royer a fait un nouveau plan avec son état-major. Mais surtout, il est allé voir tous ses gestionnaires dans chaque unité, pour leur expliquer les bénéfices que chacun tirerait de l'application correcte du plan. Il est sorti de la tour d'ivoire, il a écouté, discuté, expliqué. Il est devenu le symbole vivant de la restructuration visée. Et Domtar est passée de dernière à première!»

Impliquer les gens

La PME québécoise moyenne ne ressemble que très peu à Domtar, ne serait-ce que par sa taille. N'empêche, l'adhésion des gestionnaires au plan stratégique est également une condition majeure de son succès.

Daniel Beaupré, lui aussi professeur de gestion des ressources humaines à l'ESG, fait la distinction suivante: «La mobilisation des cadres autour du plan de l'entreprise n'est absolument pas obtenue de la même manière selon l'un ou l'autre type d'entreprise. Si vous produisez un bien simple dans un environnement relativement stable (du papier journal, par exemple), vous aurez une hiérarchie rigide et l'adhésion au plan se fera plus ou moins parce que les gestionnaires en donneront l'ordre.

«Par contre dans une entreprise livrant un produit ou un service complexe, dans un environnement concurrentiel complexe, la réussite de l'implantation du nouveau plan stratégique exige l'innovation et la créativité de tous, à commencer par les cadres. On est là dans un modèle plus participatif. Les gestionnaires vont adhérer au plan s'ils sentent qu'ils en sont au moins partiellement les auteurs.»

Enthousiasme et maladresses

Dominique Bouteiller, professeur de gestion des ressources humaines à HEC Montréal, signale les difficultés d'adhésion à un plan stratégique dans les compagnies où la ligne hiérarchique est interminable.

«À plus de trois étages de gestionnaires, le plan stratégique ne se rend pas jusqu'en bas. Il y a des pertes dans le message. Même vos cadres intermédiaires risquent d'en perdre des bouts. Voilà pourquoi souvent vos meilleures philosophies «kaizen», «juste à temps» ou autres échouent à changer les vieilles façons de faire des cadres. Bref, on n'adhère pas, parce qu'on ne comprend pas. Aplatir la ligne hiérarchique serait une bonne idée pour que le message passe mieux.»

L'OPINION DE MARC DUTIL

L'initiative vient d'en haut. Si le patron dit qu'il veut que les gens soient bien habillés du lundi au vendredi, à force de le répéter, les gens vont être bien habillés. Si le patron dit qu'il veut que tout le monde soit productif et qu'on s'en donne les moyens, ils vont être productifs.

Mais il faut s'en donner les moyens. Nous avons une équipe qui s'appelle le CREM - le Centre de recherche en excellence manufacturière. C'est une équipe d'ingénieurs industriels qui travaille à temps plein pour notre entreprise et qui fait des mandats dans nos usines. On estime que leurs services procurent un rendement équivalent à trois fois leurs salaires. Sur demande, ils font un Kaizen, ils font un 5S, ils animent une discussion de value mapping. En termes d'amélioration, nous avons pris notre destinée en main.

Nous nous appuyons sur deux éléments. Il y a le travailleur dans l'usine qui soude un gadget supplémentaire sur sa machine et qui est capable de faire son travail trois fois plus vite qu'avant. Puis il y a les cas où il s'agit de repenser et automatiser une ligne de production au complet, avec un investissement de quatre ou cinq millions et une équipe qui va y travailler pendant trois ans. Tu as besoin des deux: tu as besoin du patenteux qui a rêvé la nuit à son idée et à qui tu donnes le droit de la réaliser le lendemain. Et il faut aussi les moyens financiers et la vision à long terme qui permettent de s'investir dans de belles transformations d'usine.

- Propos recueillis par Marc Tison