Les «patenteux» canadiens ont fort peu tendance à protéger leurs inventions par un brevet.

Entre 2005 et 2008, selon les statistiques disponibles à l'Office de la propriété intellectuelle du Canada, les résidants du pays n'ont obtenu que 1813 brevets. Pendant la même période, l'Office a accordé 16 741 brevets à des étrangers.

«Nous déposons moins de demandes et obtenons moins de brevets au prorata de la population que, disons, les Allemands, les Français, les Américains ou les Japonais», souligne Me François Guay, spécialiste en litiges chez Smart&Biggar, firme d'experts en brevets et marques de commerce.

«Mon expérience me dit que c'est parce que nous surestimons grandement les exigences requises pour breveter une innovation», ajoute-t-il.

Breveter quoi?

Pas besoin d'avoir inventé l'ouvre-boîte au laser, donc, pour déposer une demande de brevet. Qu'est-ce qui se brevète? Fort heureusement, les critères sont simples et ce sont les trois mêmes dans tous les pays.

D'abord, le machin ou le processus, on s'en doute, doit être nouveau.

«Ça signifie bêtement qu'il ne doit pas y avoir la description du même truc dans une autre demande de brevet quelque part dans le monde», souligne Christian Cawthorn, expert en brevets et associé chez Norton Rose OR à Montréal.

Une recherche dans les bases de données spécialisées s'impose forcément avant d'aller perdre son argent à vouloir breveter à nouveau le bouton à quatre trous. On évite aussi des poursuites en contrefaçon.

Là où ça se corse, c'est sur le second critère, l'inventivité.

M. Cawthorn explique: «En jargon de spécialistes, on parle de non-évidence de l'invention. On dit que «l'homme de l'art» jugerait l'invention comme non évidente à ses yeux de spécialiste.»

C'est ce critère que les astucieux Canadiens surestiment, selon François Guay. «Le niveau d'exigence est étonnamment peu élevé. La non-évidence n'est pas la même pour le spécialiste en physique atomique que pour le jardinier.»

Ce critère, on le voit, a un certain côté subjectif. Cela signifie aussi que votre arrache-pissenlit pourrait se qualifier.

Finalement, faut que le machin soit utile. «Là aussi, insiste Me Guay, n'allez pas surestimer la difficulté. Si l'invention fait le travail visé, ça suffit.»

Le croiriez-vous, la languette de cuir qui cache la couture à l'arrière de vos espadrilles est brevetée!

Petit conseil de François Guay: breveter tout ce qui représente votre avantage concurrentiel et qui répond aux trois critères ci-haut. Si vous répondez à ces critères, le brevet canadien vous accorde l'exclusivité du marché canadien pour 20 ans.

Breveter quand?

Les chercheurs des labos universitaires, quand ils s'écrient «Eureka!», se sentent déchirés. Que faire: publier sa découverte dans une revue savante ou la breveter?

Au Canada et aux États-Unis, cas d'exception sur la planète, la divulgation publique de votre trouvaille s'assortit automatiquement d'une protection légale d'un an de ladite invention.

N'empêche, nos experts vous le diront, dès que vous avez l'assurance que le bidule ou le procédé répond en gros aux trois critères, commencez le travail de brevetage.

La demande de brevet que vous déposerez est déjà une assurance de protection: vos petits secrets sont protégés pour 18 mois dès le dépôt de la demande.

C'est le moment de commencer à discuter avec d'éventuels partenaires pour le financement, le développement et la mise en marché de votre ouvre-boîte au laser.

Si vous avez peur que le partenaire éventuel ne vous fasse le coup d'Arsène Lupin, faites-lui signer une entente de confidentialité. Ça refroidit le cambrioleur intellectuel le plus audacieux.

Contrefaçon! Que faire?

Catastrophe! Votre ouvre-boîte au laser n'est pas encore sur la chaîne de montage que vous en trouvez un semblable au magasin. On vous a plagié! Que faire?

«Surtout, pas de panique ni de grosse colère irrationnelle, prévient Me Guay. Les litiges en cour, c'est atrocement cher. On fait défiler les experts techniques (les «hommes de l'art») à tant de l'heure, etc.» C'est pourquoi seulement 2% des litiges sur propriété intellectuelle vont en cour.

Nos experts vous conjurent donc de négocier, agressivement sans doute, mais de négocier plutôt que d'intenter une poursuite. «La pire des ententes, résume Christian Cawthorn, vaut mieux que le meilleur des procès.»

L'OPINION DE NOTRE ENTREPRENEUR

Alain Lemaire Président et chef de la direction de Cascades inc.

Il faut prendre les moyens de protéger son idée. Le brevet fait au moins réfléchir ou reculer certains concurrents qui se disent que l'entreprise a les moyens de se défendre. Ce n'est peut-être pas vrai, mais le concurrent n'osera pas faire le test! À l'opposé, la disponibilité de toutes ces connaissances peut en amener d'autres à trouver le moyen de contourner un brevet.