Mais l'innovation n'est pas une démocratie. Paradoxe.

C'est quand même rassurant: en dépit de l'omniprésente technologie, les idées proviennent encore de l'humain.

La capacité à innover d'une entreprise dépend de sa facilité à faire jaillir la créativité chez ses employés.

«La gestion des ressources humaines dans un contexte d'innovation est fondamentale», affirme Josée St-Pierre, professeur titulaire au département des sciences de la gestion de l'UQTR et spécialiste en gestion de l'innovation dans les PME.

«Chaque fois qu'un employé part parce qu'il n'est pas satisfait, il amène avec lui un paquet d'idées et un ensemble de connaissances», dit-elle.

Dans un contexte de dénatalité et de pénurie de main-d'oeuvre croissante, il faudra donc mettre en place des moyens d'attirer, motiver et conserver cette ressource aussi précieuse que rare.

Si la créativité est un objectif, l'entreprise doit se structurer en conséquence.

«C'est souvent une lacune, observe Mme St-Pierre: on met énormément d'accent sur le produit, mais pas sur ce qui l'entoure, c'est-à-dire l'innovation organisationnelle, les changements dans les pratiques d'affaires, l'innovation dans la mise en marché, dans les processus, les moyens de production. L'innovation est un ensemble.»

Et c'est un travail d'équipe.

Spécialement en innovation de produits, il faut réussir à instaurer une collaboration entre spécialistes de tout poil et tout acabit.

Synergie interne

«Ce n'est pas si simple, observe Guy Belletête, directeur général de l'Institut de développement de produits. On est tellement bien seul devant son ordinateur. On ne crée pas beaucoup de produits si on ne se rencontre pas. Il faut arriver à créer une synergie interne, où on est capable de se colletailler avec des gens qui ne pensent pas comme nous, qui veulent avoir le produit pour moins cher qu'on est capable de le fabriquer...»

L'innovation est-elle pour autant l'affaire de tout le monde? Oui dans le sens général, et non dans le sens particulier. En innovation de produit, par exemple, l'opinion de l'avocat de la compagnie vaut celle de n'importe quel autre consommateur - à moins que l'on parle de protection intellectuelle.

L'intervention d'un directeur de production est essentielle en cours de développement technique. Mais pendant une session de recherche d'idées - le fameux brainstorming -, le pragmatisme technique est un éteignoir de créativité.

«Créer des produits, ce n'est pas une démocratie, précise Guy Belletête. Il faut des équipes multifonctionnelles, d'accord. Mais j'ai souvent observé qu'on interprétait cette règle en consultant tout le monde. On n'a pas nécessairement besoin de tout le monde! Ce n'est pas une question de démocratie, c'est une question d'efficience.»

Trouver le temps d'être créatif

Dans une PME débordée, où trouver le temps d'être créatif? «C'est très difficile, répond Guy Belletête. Un service de recherche et développement de deux ou trois personnes épuisées qui cherchent à être innovatrices entre 17h et 18h30, ça ne peut pas marcher longtemps.»

Ces créateurs sont accaparés par les problèmes à court terme, et délaissent les projets à plus long terme.

«Malheureusement, le long terme, c'est seulement deux ans plus tard, et parvenu deux ans plus tard, tu n'as pas de nouveau produit», lance-t-il.

Avec une équipe plus nombreuse, les rôles peuvent être mieux distribués. Une ou deux personnes prendront en charge les projets à long terme, tandis que le reste de l'équipe s'occupera des projets à échéance plus rapprochée.

Si l'équipe demeure restreinte, il faudra se résoudre à segmenter la semaine pour réserver des cases horaires aux projets d'innovation.

Car la création a besoin de temps et d'air frais. «Pour faire des choses nouvelles, il faut se ressourcer, se diversifier, penser à autre chose, réfléchir autrement», indique Guy Belletête. «Vite, vite, il faut qu'on innove: ça ne marche pas.»

COMMENT RÉCOLTER DES IDÉES SANS RIEN ÉCHAPPER

Avec l'internet et les réseaux sociaux, il est très simple de lancer une campagne de recherche de suggestions et d'idées nouvelles - l'équivalent électronique d'une boîte à suggestions.

«Attention, prévient toutefois Guy Belletête, directeur général de l'Institut de développement de produits, j'ai vu souvent des entreprises lancer des campagnes de génération d'idées, et recevoir 350 idées en trois ou quatre semaines. On s'y noie. En plus, on est obligé de dire que leur idée n'est pas bonne à des personnes qu'on voulait mobiliser davantage. Si les gens ressortent frustrés de la campagne, il va être difficile d'en faire une seconde.»

Voici quelques suggestions pour éviter cette issue contre-productive

> Cibler l'objectif Pour limiter et diriger le flux de suggestions, l'objectif de cette demande de suggestions doit être encadré avec précision, en fonction de ce qu'on cherche à améliorer ou promouvoir. On sollicitera par exemple des idées pour améliorer tel produit ou telle ligne de production. «Sinon on peut avoir des suggestions pour améliorer la cafétéria aussi bien que pour introduire un nouveau produit», rappelle Guy Belletête.

> Faire connaître votre campagne Ces objectifs seront exprimés dans une campagne suffisamment publicisée pour retenir l'attention du groupe d'employés visé.

> Répondre rapidement Un accusé de réception sera rapidement envoyé. «Si vous répondez six mois plus tard, vous ne recevrez plus d'idées», prévient Guy Belletête. Des réponses typiques, adaptables facilement aux circonstances, pourront être prévues.

> Un groupe d'analyse Les suggestions seront évaluées par un groupe d'analyse. «Il faut voir de façon sérieuse comment on peut les mettre en place et les financer. Une idée générera éventuellement des coûts si on veut la réaliser. Si on n'est pas prêt à le faire, il vaut peut-être mieux se retenir.» Les refus doivent être motivés avec tact.

> Reconnaître les meilleures suggestions Enfin, les auteurs des suggestions retenues doivent recevoir une récompense pour leurs efforts. Une reconnaissance publique suffit généralement. Mais il faudra peut-être davantage. «Si une idée fait gagner des millions et qu'il n'y a aucune reconnaissance financière, l'entreprise se crée un problème», conclut Guy Belletête.

L'OPINION D'ALAIN LEMAIRE

Il n'existe pas de recette magique ou de méthode parfaite pour générer des idées. Tout dépend de la culture d'entreprise. Vos gens sont-ils réactifs ou proactifs dans leur travail? Leur faites-vous confiance? Faites-vous appel à leurs idées? Comptez-vous sur eux pour apporter des solutions?

L'innovation ne concerne pas seulement les experts: il faut un éventail de gens qui vont se compléter. Mais les bougies d'allumage demeurent les gens créatifs.

Avec notre système de gestion de l'innovation, on a voulu créer un véhicule qui stimulerait et rassemblerait les idées des gens créatifs dans notre organisation. Il s'agit de les assurer que leurs idées ne tomberont pas entre deux chaises, qu'on va les soutenir, qu'on va les développer, qu'on va les reconnaître.

Cependant, une telle structure n'est pas indispensable: d'autres entreprises fonctionnent très bien avec de simples boîtes à suggestions.

Pour motiver les employés, les trucs de base sont toujours bons: leur faire connaître les enjeux, partager avec eux les défis, valoriser leurs suggestions, les laisser exprimer leurs idées, les inviter à le faire, leur donner un forum pour qu'ils soient écoutés et reconnus. Et tout ça commence avec la direction. Si la direction est aux prises avec les problèmes quotidiens et ne compte que sur les compressions pour s'en sortir, elle n'innove pas. Il faut être à l'écoute, avoir de l'ouverture et responsabiliser.