Louis-Jacques Filion est un chaud partisan des stratégies d'entreprises ouvertes, des réseaux de collaboration dans l'entreprise et entre entreprises. Pourquoi? «Mais parce que c'est plus profitable!»

Le professeur titulaire de la chaire d'entreprenariat RogersJ.-A.-Bombardier à HEC résume ainsi son approche: «Les individus ne peuvent tout faire eux-mêmes. C'est pareil pour les entreprises. Tout faire soi-même est trop coûteux en matériel et en temps de formation. Alors il faut collaborer, travailler en équipes et faire confiance aux alliés extérieurs. C'est excellent pour la marge de bénéfices.»

Sous-traitance et impartition

Pour M. Filion, le premier exemple des avantages bénéficiaires de la collaboration, c'est la sous-traitance.

«Une manufacturière lance une nouvelle gamme de produits. Le réflexe est d'aller acheter de coûteux équipements, qu'on amortira sur 15 ans et qui seront désuets dans cinq ans. Au lieu de ça, pour protéger ses marges, je suggère de sous-traiter, avec un cahier des charges très précis.»

Martin Thibault, chef de la direction d'Absolunet, société de services web et mobilité, abonde dans ce sens.

«Je ne vais pas ruiner ma marge bénéficiaire en embauchant du personnel sophistiqué chaque fois qu'une circonstance m'amène sur un terrain inconnu. Il y a des sociétés spécialisées qui couvrent ces territoires nouveaux. Je préfère donc impartir.»

Rabais sur volume

Et tant qu'à sous-traiter, comment obtenir de son fournisseur les beaux rabais sur volume qui font tant de bien à la marge bénéficiaire?

«Chez Absolunet, explique M. Thibault, nous consommons beaucoup de câbles, de routeurs, etc. Quand, vers la fin d'un trimestre, nous n'avons pas atteint la quantité donnant droit au rabais, nous passons la commande suffisante pour y arriver. Mais attention! Sur produits vedettes seulement!»

Les sociétés de services peuvent aussi jouer l'air du rabais sur volume.

M. Thibault donne un exemple. «Mon client tient à ce que l'application que je développe tourne sur une plate-forme que je ne maîtrise pas, dit-il. Je vais à l'extérieur. J'exige un rendu de très haute qualité. Si je l'obtiens et que je sais que j'aurai d'autres demandes de ce type, je garantis un volume annuel à mon impartiteur et j'exige une réduction. Je me forge donc une relation durable et lucrative.» L'entreprise réseau, encore.

Le groupement d'achat est aussi une stratégie réseau qui permet d'aller chercher les rabais sur volume.

Martin Thibault le fait sur une base régulière. «J'ai identifié un concurrent qui est assez éloigné géographiquement pour ne pas me donner trop de palpitations. Nous achetons du câble ensemble.»

En 2008, à cause de la crise financière, le marché américain d'Orion Software s'est évaporé. Les logiciels d'Orion s'adressent beaucoup au marché de la construction résidentielle. Oups!

«On a perdu 15% de notre chiffre d'affaires», se rappelle son fondateur, André Gilbert.

Il a fallu jouer du sécateur. Oui, mais où?

«D'abord, le personnel de vente aux États-Unis a été réduit, dit-il. Ensuite, on a coupé les visites aux foires commerciales de 18 à 12. On a coupé de moitié la pub dans les imprimés. Et on a sabré dans le télémarketing.»

Le principe stratégique?

«Ne pas toucher aux activités vitales de l'entreprise.» De cette façon, les ventes ont reculé de 15%, mais le bénéfice est resté constant.

Employés plus productifs

Quand les affaires ont repris chez Orion il a fallu embaucher. «Je détermine l'embauche sur la base des frais variables, explique M. Gilbert. Je n'embauche qu'une personne à la fois, si les volumes d'affaires le justifient. Et pour intégrer ces personnes efficacement et les rendre productives rapidement j'ai un processus systématique d'intégration.»

Des outils informatiques de formation, entre autres, permettent d'obtenir rapidement un rendement satisfaisant.

Chez Absolunet, tous les employés travaillent dans une équipe de cinq ou six personnes. Les réseaux, encore.

Chaque trimestre, chaque équipe énonce clairement ses deux buts stratégiques : les livrables du semestre et aussi un objectif d'augmentation de productivité.

Chaque matin les équipes se réunissent un petit quart d'heure et chaque employé énumère ses produits livrables pour la journée. Si l'objectif de la veille n'a pas été atteint par quelqu'un, l'équipe doit résoudre le problème le jour même.

Comme on le voit, toutes ces approches visent à maintenir ou augmenter la marge bénéficiaire. La plupart ont en commun d'y arriver par l'ouverture et la communication, la formation de réseaux à l'intérieur et à l'extérieur de la compagnie.

De l'audace et encore de l'audace

Quand ça va mal à la «shop», que fait Luc Filiatreault, ancien PDG de Nstein ? Des coupes, des économies? Que non! «La marge bénéficiaire, je ne la vois qu'à long terme, dit-il. Alors j'investis massivement à coups de capital-risque et d'anges financiers. «C'est ce qu'il a fait en 2007 quand ça stagnait chez la société techno Nstein. «On est passé de 2 à 12 vendeurs qui ont prospecté les marchés européens et nord-américains, précise-t-il. En un trimestre ou deux, les ventes ont triplé et en 2010, le chiffre d'affaires était passé de 8 à 35 millions. Les bénéfices ont suivi.» Approche radicale, et pas pour les natures fragiles.

L'opinion d'Alain Bouchard

Il y a plusieurs façons d'améliorer les profits. L'efficacité en est une. L'efficacité ne veut pas dire être le plus cheap. Je vais vous donner un exemple. Avec un logiciel, nous avons analysé le nombre d'heures de travail par transaction. On s'est rendu compte qu'on servait mal nos clients. On payait 40 heures de trop durant le jour et il nous manquait 25 heures le soir. On a coupé 40 heures le jour et on en a ajouté 25 le soir. On a fait l'économie de 15 heures sur 6000 magasins. Nos résultats montrent que le bénéfice est passé de 200 M$ à 370 M$ entre 2008 et 2010 pendant la récession. Tout ce qu'on a gagné, c'est en efficacité.

Photo Olivier Pontbriand, collaboration spéciale

Alain Bouchard