Les clauses de non-concurrence peuvent s'avérer de véritables obstacles pour les entreprises qui sont à la recherche d'employés clés. Pour ne pas être pris au piège, mieux vaut en comprendre toutes leurs coutures.

Mai 2010. Patrick Désilets, l'homme derrière la populaire série de jeux vidéo Assassin's Creed, démissionne de son poste de directeur créatif chez Ubisoft. Direction THQ, grande rivale d'Ubisoft dans le monde du jeu, qui ouvre un nouveau studio à Montréal.

Le hic? Patrick Désilets, véritable pilier de son entreprise, est frappé d'une clause de non-concurrence. Selon les termes de l'entente, il ne pourra entrer au service de son nouvel employeur qu'un an après sa démission.

Les cas comme le sien ne sont pas rares. Au contraire.

Pour éviter de se faire voler des employés par leurs concurrents, les entreprises ont souvent recours à des clauses de non-concurrence. Si elles leur permettent de retenir les talents en leur sein, elles peuvent aussi devenir un frein à la croissance des sociétés qui cherchent à se développer.

«On retrouve ce type de clause dans tous les domaines», indique l'avocate Nathalie-Anne Béliveau, associée principale de la firme Fasken Martineau DuMoulin et spécialiste de la non-concurrence.

«Elles servent à protéger les intérêts légitimes d'une entreprise et à protéger les secrets de commerce et l'information confidentielle. Celles qui n'en ont pas sont bien téméraires», estime l'experte.

Raison de plus pour bien les comprendre. Voici donc quelques trucs.

D'abord, pour qu'elle soit valide, la clause de non-concurrence doit absolument comprendre les trois éléments suivants: une durée, un territoire où l'employé qui y est lié ne peut exercer, et le type de travail qu'il lui est interdit de faire.

Toujours la même histoire

Selon Me Béliveau, le recours aux restrictions contenues dans une clause de non-concurrence suit généralement la même trame narrative.

Un employé vedette annonce à son employeur qu'il le quitte. Il prendra des vacances et réfléchira à son avenir, dira-t-il. Il est fatigué et souhaite changer de carrière.

Quelques semaines plus tard, ses patrons reçoivent l'appel d'un client, qui leur demande pourquoi leur employé est désormais chez le concurrent. «L'entreprise apprend presque toujours par quelqu'un de l'extérieur qu'un employé viole sa clause de non-concurrence», explique l'avocate.

L'entrepreneur floué envoie à ce moment une mise en demeure au démissionnaire pour exiger qu'il respecte ses engagements de ne pas travailler pour un concurrent. S'il n'obtempère pas, l'ex-employeur s'adresse au tribunal pour obtenir une injonction.

C'est habituellement à ce moment que le nouvel employeur intervient pour tenter de bloquer l'injonction.

«Il ne faut pas penser que c'est une guerre entre une entreprise et un employé, dit Nathalie-Anne Béliveau. C'est une bataille entre deux entreprises qui se battent pour des ressources.»

Comment la faire tomber

Pour empêcher la clause de non-concurrence de s'appliquer et ainsi obtenir les services du nouveau venu le plus rapidement possible, il faut prouver qu'elle est abusive ou mal rédigée.

«J'ai eu un cas où une entreprise voulait empêcher son employé de travailler n'importe où dans le monde, illustre Me Béliveau. Évidemment, la clause n'a pas tenu. C'était exagéré.»

Un employé qui quitte son entreprise parce qu'il y était malheureux, et non dans le but de gagner plus d'argent, a aussi des chances de se débarrasser de ses engagements.

«S'il se faisait importuner par ses collègues ou qu'il était malheureux, par exemple, dit l'avocate. Une clause de non-concurrence n'est pas suffisante pour retenir son personnel, il faut bien le traiter.»

Et si la clause est maintenue par le tribunal? «Le futur employeur paye presque toujours sa recrue durant le temps où elle ne peut pas travailler», dit Me Béliveau.

Fusion et acquisition

Au-delà du maraudage, les clauses de non-concurrence peuvent aussi devenir un casse-tête lors de la vente ou de l'achat d'une entreprise au sein de laquelle des employés sont liés par ce type de contrat.

La règle est pourtant simple. «La vente d'une entreprise ne met pas fin aux contrats de travail, explique Nathalie-Anne Béliveau. Et comme les clauses de non-concurrence font partie du contrat de travail, elles suivent avec la transaction.»

Les employés qui ne seraient donc pas satisfaits de voir leur entreprise changer de mains doivent respecter les engagements qu'ils ont pris en acceptant une telle clause s'ils décident de claquer la porte.

Un employé mis à la porte n'est pas soumis à sa clause de non-concurrence, sauf si les motifs de congédiement sont jugés «justes ou suffisants», précise Me Béliveau. S'il est accusé de voler son patron, par exemple.

L'opinion d'Alain Bouchard

Lors d'une acquisition, il est toujours très important d'avoir un bon avocat d'affaires près de soi pendant la négociation. J'ai vu des transactions avorter parce que l'avocat prenait plus de place que le propriétaire de l'entreprise. Quant aux comptables et autres fiscalistes, ils jouent un rôle dans la mesure de vos besoins. Parfois les structures complexes peuvent s'avérer plus coûteuses à maintenir que le réel avantage qu'elles procurent.

Photo Olivier Pontbriand, collaboration spéciale

Alain Bouchard