Le chef Normand Laprise veut ouvrir un établissement qui ne sera pas un restaurant.

Une épicerie ? Pas exactement.

Une boucherie ? Ce serait réducteur.

« Je dis "boucherie" parce que ça fait image, mais ce n'est pas tout à fait ça. »

C'est le problème de l'innovation : il faut quelquefois créer un néologisme pour décrire un projet inédit.

Mieux vaut le laisser raconter.

L'HISTOIRE DE L'AGNEAU

« Pour l'agneau, au Toqué, on travaille avec une petite ferme. Il n'y a pas beaucoup de producteurs d'agneau qui ont du 100 % pure race au Québec. Chez eux, c'est du Texel. Ces gens-là ont failli faire faillite, il y a huit ans. »

Un autre producteur lui avait suggéré d'aider cette ferme de Saint-Gabriel-de-Rimouski en s'y approvisionnant, malgré la distance.

« Ils élèvent leur agneau en six mois. Aujourd'hui, si tu veux, tu peux élever l'agneau en quatre mois, de façon plus commerciale. Tu économises deux mois de loyer et deux mois de nourriture. »

- Normand Laprise

Pourtant, à l'abattoir, tous les producteurs obtiennent le même prix, celui du marché.

« Mais elle a pris deux mois de plus, l'a nourri aux petits soins. Et lorsqu'elle va à l'abattoir, elle n'a pas de plus-value. Qu'est-ce que ça lui donne de risquer la faillite parce qu'elle veut bien faire les choses ? »

« Ces gens-là, il faut les aider. »

C'est ce qu'il a fait. Cependant, un producteur ne peut directement vendre aux restaurants que des agneaux entiers.

Le Toqué ! lui achète donc de quatre à six agneaux toutes les deux semaines, ce qui entraîne certaines difficultés. « On est des restaurateurs, pas des bouchers ! Il a fallu apprendre à faire de la boucherie. »

En retour, il obtient une viande de la plus haute qualité, dont le goût est toujours parfait.

« Pour moi, c'est important et ça nous coûte très cher », souligne-t-il.

SUR LES TRACES DE LA TRAÇABILITÉ

Normand Laprise veut élargir cette relation privilégiée avec les meilleurs producteurs. « Mon but, au cours des 10 prochaines années, c'est de pousser encore plus loin pour représenter ces gens-là. Pour moi, il est important qu'on vende des produits du Québec à l'extérieur, qu'on se fasse reconnaître par la qualité grâce à des artisans. »

Les producteurs, les restaurateurs, les consommateurs, même, en tireraient profit.

Déjà, le site internet du Toqué! présente la liste de ses fournisseurs.

Mais Normand Laprise veut faire davantage.

« Je rêve un jour de voir des boucheries authentiques comme dans le temps, qui commandent une carcasse directement d'une ferme, qui maximisent l'animal, qui disent de quel endroit il provient. »

Nous y voilà : c'est pour concrétiser lui-même ce rêve qu'il creuse l'idée d'une boucherie qui n'en est pas une. « J'ai le projet de pouvoir offrir de la viande, mais aussi d'autres produits, sur la base de la traçabilité. C'est l'avenir, selon moi, pour l'agroalimentaire du Québec. »

Il a commencé à chercher un local, dans un quartier central. « Ce serait du commerce de détail, disponible aux gens », décrit-il.

« Ce n'est pas de l'innovation ? Pour moi, c'en est parce qu'ici, il faut qu'on se protège. »

La veille de la parution, il a rappelé. « J'ai trouvé le mot, ce matin. Je participais à une conférence où on parlait de créativité et d'entrepreneuriat et "dépôt alimentaire" m'est venu en tête. C'est un peu ce que je veux faire. »