Ce ne sont pas vraiment des conseils, ni même des suggestions. Des anecdotes, plutôt, qui révèlent un caractère, une philosophie, une vision. Mais où tout est aussi lié qu'une belle sauce.

UNE PINCÉE D'ENTRAIDEAu milieu des années 80, Normand Laprise débarque à Montréal pour travailler au Lutetia, « le plus français des restaurants » de la métropole. « J'étais le seul Québécois sur la ligne de chaud. C'est assez intimidant. » Un soir où il est moins occupé aux sauces, il offre un coup de main au poissonnier surchargé.« Il me dit : "Pousse-toi, je suis capable de le faire." Il s'agissait toujours de prouver quelque chose. Et toi, si tu es dans le jus, on en rigole presque. » Cette attitude lui était étrangère. « Moi, je n'étais pas là pour prouver quelque chose. J'étais là pour que les clients repartent heureux, sans avoir attendu trop longtemps. C'est pour ça que j'étais en restauration. »

SAISIR SA CHANCE À FEU DOUXFin 1992, c'est la récession. Le restaurant Citrus, dont il est l'âme, ferme ses portes. Il songe à partir à l'étranger. Deux anciens clients l'incitent à ouvrir son propre restaurant. « Je leur dis : "C'est trop démoralisant. Je n'ai pas d'argent." Le peu que j'avais, c'était des REER. » Il avait commencé à épargner dès 19 ans. « Je n'avais jamais eu beaucoup d'argent, mes parents n'étaient pas très aisés. » Les deux clients lui offrent de l'aider. « Ce que tu faisais, on ne le retrouve pas à Montréal. Il faut que tu rouvres. » Il poursuit : « J'ai dit OK. C'est ce qui a fait le déclic. Si je ne les rencontre pas, je n'ouvre pas de restaurant à Montréal. »

SAUPOUDRER D'AUDACEJanvier 1993. Il soumet l'idée à Christine Lamarche, enceinte et sans emploi, qui travaillait pour lui au Citrus. « Elle m'a dit : "Mon père m'a toujours dit que si j'avais envie de partir en affaires, il aurait de l'argent pour moi." » « Je lui ai dit : "Si ça te tente, mets ton manteau, on va aller voir des locaux." » Ils repèrent un commerce rue Saint-Denis, mais on le leur déconseille parce qu'il est du côté ombragé, non propice aux terrasses. « Mais on ne voulait pas de terrasse ! » À la fin mars, ils signent le bail. Il encaisse ses REER. « On dit toujours qu'il ne faut pas toucher aux REER. Mais dans la vie, il y a des opportunités. » Au début juin, ils ouvrent le Toqué! Christine Lamarche a accouché trois semaines plus tard.

RECTIFIER L'ASSAISONNEMENT« Christine et moi, on a un bel équilibre », dit-il avec une touche d'affection mêlée d'amusement dans la voix. « Moi, je suis le gars qui ne réfléchit pas et qui dépense un peu. Et elle, elle est la personne organisée, structurée, qui va m'arrêter. J'ai besoin de ça et elle a besoin de moi. Les deux, on se complète très bien. »

NE PAS COUVRIR« Au début, quand j'ai commencé à travailler, tous les chefs cachaient leurs recettes. Il y a des recettes que j'ai apprises par coeur en regardant les chefs les exécuter. Tout le monde cachait la provenance de ses produits, comme si on avait peur de se faire enlever quelque chose. Moi, si je cachais mon petit producteur, je ne pourrais pas le faire vivre seul. Au contraire, si je le fais connaître, il va avoir du volume, il va pouvoir être exigeant avec les gens avec qui il veut travailler, et il va bien vivre. » « Qui est gagnant ? La restauration, les clients, les chefs. »

TOUILLER ET SERVIRDe plus en plus, des jeunes de l'étranger viennent parfaire leur métier dans les bons restaurants québécois. « Ils veulent venir travailler au Québec un ou deux ans pour apprendre. C'est extraordinaire. Ils apportent leur culture, leur savoir-faire. Dans l'équipe, tous ces jeunes sont passionnés, ils échangent ce qu'ils savent, ce qu'ils ont fait, ce qu'ils ont appris. Ça stimule la cuisine, et ça nous stimule, nous, à aller plus loin. » « Pour moi, l'inspiration vient de là, et c'est encore les humains. »

PHOTO David Boily, archives la presse

Les partenaires d'affaires Normand Laprise et Christine Lamarche, en 2010.