Encore secoué par les révélations de la commission Charbonneau (CEIC) et bouleversé par l'évolution accélérée des pratiques en milieu de travail, le système professionnel fait face à de nombreux enjeux. Pour certains, des solutions voient déjà le jour. Pour d'autres, le défi reste entier.

La discipline

« Depuis 2012, nous travaillons à améliorer les mécanismes de protection du public », déclare Jean-François Thuot, directeur général du Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ). De ces travaux est né le Bureau des présidents de conseils de discipline, mis sur pied à l'été 2015. « C'est un changement assez substantiel parce qu'on désigne désormais les présidents de conseils de discipline de façon transparente, selon des critères de compétences - ce qui était plus ou moins explicite auparavant dans le Code des professions et qui a donné lieu à des dérapages », estime M. Thuot. Le processus disciplinaire se serait nettement amélioré. « Les retards dans le traitement des dossiers disciplinaires seraient en voie de disparaître », rapporte-t-il.

La gouvernance

La gouvernance des ordres et la protection du public sont étroitement liées, explique Jean-François Thuot. « Pour que l'Ordre mène à bien son mandat de protection du public, il doit disposer d'administrateurs compétents et formés », dit-il. Dévoilé en mai dernier, le projet de loi 98 porte justement sur ce sujet. Il y est entre autres question d'obliger les administrateurs à suivre une formation sur le rôle du C.A. d'un ordre, notamment en matière de gouvernance et d'éthique. Il s'agit là de l'une des recommandations du rapport de la commission Charbonneau.

Les employeurs délinquants

À ce sujet, le rapport de la CEIC était sans appel : il faut assujettir les entreprises à l'autorité des ordres professionnels au même titre que le sont les professionnels. « Tout le système professionnel a été pensé dans une perspective individuelle : on doit protéger le client contre les abus possibles du professionnel », rappelle Luc Bégin, professeur d'éthique appliquée à l'Université Laval, aussi membre du Comité public de suivi des recommandations de la CEIC. « C'est vrai, mais le professionnel n'agit pas toujours librement lorsqu'il a des comptes à rendre à un patron, poursuit-il. Or, dans certains ordres, la majorité des professionnels sont salariés. C'est pourquoi il faut se donner les moyens d'exercer un contrôle sur les employeurs délinquants. »

L'« ubérisation »

On ne parle pas ici des taxis Uber, mais plutôt du phénomène qui en découle : la mise en relation quasi instantanée entre un professionnel et un client grâce aux nouvelles technologies - tout cela, en dehors de tout encadrement. Pour mieux comprendre la tendance, le CIQ et des ordres dans les domaines de la santé et des services sociaux font équipe avec le Centre facilitant la recherche et l'innovation dans les organisations (CEFRIO) pour sonder les usages que font les professionnels du numérique. « Grâce à des applications, les infirmières et les inhalothérapeutes peuvent prendre des mesures biologiques à distance, illustre Jean-François Thuot. Cela représente des opportunités, mais aussi des risques comme la confidentialité des données. » Les résultats du sondage seront connus au début de l'automne.

La mobilité professionnelle

Selon Jean-François Thuot, le système professionnel a bien embrassé le changement dans le dossier de la mobilité professionnelle, « surtout en comparaison à d'autres provinces et juridictions ». Il donne en exemple l'entente France-Québec en 2008, qui a permis à 2000 professionnels français de voir leur diplôme reconnu. Cependant, tout n'est pas rose. Comme l'a rapporté La Presse il y a quelques semaines, en marge de l'assemblée annuelle du CIQ, la ministre des Relations internationales, Christine St-Pierre, a déclaré que certains ordres se montrent « protectionnistes, sinon corporatistes » quand vient le temps de reconnaître les qualifications de professionnels formés à l'étranger.

Les relations avec les universités

Plus de 300 programmes mènent à l'obtention d'un permis professionnel. Chaque ordre a un comité de la formation qui détermine sur une base annuelle si les programmes sont conformes à l'évolution des pratiques professionnelles. Or, « il y a une divergence de vues profonde quant au mandat de ces comités, ce qui a pour effet de paralyser souvent leur travail », signale Jean-François Thuot. Certains acteurs, dont le CIQ, aimeraient que l'évaluation des programmes aille au-delà de leurs seuls objectifs pour inclure le cheminement pédagogique, les modalités d'évaluation, etc. « Les établissements universitaires s'opposent fortement à cette vision et cela bloque la progression de ce dossier », déplore M. Thuot.