Il y a plus de 40 ans, le Québec s'est doté de mécanismes pour encadrer l'exercice des professions réglementées comme celles des médecins, des avocats et des notaires, afin de mieux protéger le public. Bien que le système ait fait ses preuves, il est aujourd'hui mûr pour une cure de jouvence.

Attendue depuis 2013, la réforme du Code des professions devrait se concrétiser à l'automne, espère Jean Paul Dutrisac, président de l'Office des professions du Québec. «La volonté ministérielle est là», confirme-t-il. Il le faut: les révélations de la commission Charbonneau ont entaché la crédibilité de certains ordres professionnels, notamment celle de l'Ordre des ingénieurs qui, il y a quelques semaines à peine, faisait l'objet d'un rapport accablant.

La réforme sera si importante qu'elle s'étirera sans doute sur plus d'un projet de loi. «On va commencer par le plus urgent, c'est-à-dire la création d'outils pour assurer une meilleure gouvernance au sein des conseils d'administration des ordres, mais aussi pour renforcer le rôle de surveillance de l'OPQ auprès des ordres», explique M. Dutrisac. Un second projet de loi portera sur la justice disciplinaire. Des mesures sur l'exercice des professionnels en société ou en entreprise seront aussi incluses. «Actuellement, les ordres contrôlent la pratique des professionnels sur une base individuelle, mais n'ont pas droit de regard sur les sociétés ou les entreprises où travaillent leurs membres, précise Jean Paul Dutrisac. On s'est rendu compte du problème avec les firmes d'ingénieurs mises en cause pendant la commission Charbonneau.»

Avec la révision du Code des professions, le système professionnel québécois s'apprête à vivre le plus important changement de son existence, lui qui a vu le jour en 1973. En résumé, ce système unique au monde regroupe 45 ordres professionnels qui réglementent l'exercice de 53 professions - des médecins aux sexologues en passant par les architectes, les chimistes et les urbanistes - et qui sont représentés par le Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ), leur voix collective en quelque sorte. Les ordres sont surveillés par l'OPQ, qui relève du ministère de la Justice, responsable de l'application des lois professionnelles.

De multiples enjeux

Il n'y a pas que la commission Charbonneau qui force le système professionnel à revoir son fonctionnement qui, disons-le, a néanmoins fait ses preuves pour la majorité des professions réglementées. «Nous sommes à la croisée des chemins», estime Jean-François Thuot, directeur général du CIQ. Les enjeux se multiplient. Il cite en exemple la télépratique qui constitue une formidable avancée technologique pour les professionnels, mais qui suscite des inquiétudes quant à la confidentialité des données et à la protection des clients ou des patients, peu importe le pays où ils habitent.

La mobilité professionnelle soulève aussi des interrogations. «Depuis une dizaine d'années, les demandes d'équivalence provenant de professionnels formés à l'étranger ont augmenté de 500%, fait remarquer M. Thuot. En collaboration avec les établissements d'enseignement, nous devons nous assurer que ces individus disposent de la formation d'appoint requise pour respecter les exigences des ordres québécois.»

Le CIQ apprécierait d'ailleurs des «relations plus franches et efficaces» avec les collèges et les universités. Plus de 300 programmes mènent à l'obtention d'un permis professionnel. Or, ce sont les ordres qui ont la responsabilité légale de déterminer les compétences nécessaires à la délivrance des permis. Le problème a été soulevé au cours du Sommet sur l'enseignement supérieur en 2012, mais pour le moment, «il reste entier», note le directeur général du CIQ. Une lumière se profile au bout du tunnel: l'OPQ entamera bientôt un chantier sur la question.

Un rôle mal compris

Même si les ordres professionnels existent depuis plus de 40 ans, ils demeurent des créatures mystérieuses aux yeux du public, qui comprend encore mal leur raison d'être. C'est ce que révèle le sondage1 annuel mené par le CIQ et la firme CROP sur la perception de la population à l'égard des professionnels et des ordres. En 2014, 51% des individus sondés ont affirmé que les ordres ont pour mandat de protéger leurs membres. Seulement 10% ont déclaré que leur mission consiste à protéger le public - la bonne réponse. Le portrait était plus reluisant avant la commission Charbonneau: en 2012 et 2013, 39% ont répondu que les ordres existent pour défendre leurs membres. Environ 11 à 12% ont dit que la protection des intérêts du public est le souci principal des ordres.

Comment expliquer cette confusion? «Les ordres sont de drôles de "bibittes", concède Jean-François Thuot. Ils sont créés par une loi qui encadre les professions réglementées, mais qui du même souffle, permet aux professionnels de se gérer eux-mêmes.» Une telle autonomie est nécessaire pour les ordres qui ont chacun leurs particularités, mais contribue sans doute à entretenir les fausses conceptions du public.

Le CIQ mène actuellement une campagne de sensibilisation avec pour thème «Ordre de protéger». «Nous sommes conscients que le travail des ordres n'a de mérite qu'en regard de la crédibilité de leurs actions», dit Jean-François Thuot.

1Le sondage CROP a été mené en ligne en ligne par le biais d'un panel Web entre le 17 et le 24 septembre 2014. Au total, 1000 questionnaires remplis.

CONSEIL DE DISCIPLINE UN BUREAU TRÈS ATTENDU

Le cas de l'avocate retardataire Diane Larose a fait les manchettes à plusieurs reprises: l'ex-présidente de conseils de discipline délibère depuis plus de cinq ans pour rendre une cinquantaine de décisions. Une demi-douzaine d'ordres professionnels sont toujours en attente. «C'est pour éviter une situation aussi déplorable que nous avons proposé au gouvernement de créer un Bureau des présidents de conseils de discipline», explique Jean Paul Dutrisac, président de l'Office des professions du Québec (OPQ).

Le Bureau devait être mis sur pied ce printemps. On vise maintenant l'automne. «Ce n'est pas de notre ressort, puisque c'est un comité indépendant nommé par le gouvernement qui se charge des travaux», dit M. Dutrisac. «Ça fait un bout de temps qu'on parle de ce Bureau et nous sommes impatients qu'il soit enfin en fonction. Des ordres et des plaignants sont dans une situation impossible depuis trop longtemps», déclare avec force Jean-François Thuot, directeur général du Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ).

PHOTO YAN DOUBLET, LE SOLEIL

Jean Paul Dutrisac est président de l'Office des professions du Québec.