Surprise, les jeunes ingénieurs sont attirés par le secteur manufacturier, alors que le génie informatique et logiciel manque de candidats!

Les travaux d'une certaine commission d'enquête ont attiré l'attention sur les firmes de génie-conseil. On a pu dès lors croire que la plupart de nos ingénieurs oeuvraient dans ces firmes. Or, seulement 15,6% des ingénieurs québécois travaillent en consultation. C'est trois fois moins que le contingent recruté par les autres secteurs de l'entreprise privée, qui attirent 46,6% des 63 204 membres de l'Ordre des ingénieurs du Québec. En fait, l'entreprise privée, excluant le génie-conseil, est la destination la plus souvent choisie par les diplômés en génie.

Ces chiffres sont tirés du rapport annuel 2012-2013 de l'Ordre des ingénieurs. Le président de l'Ordre, Daniel Lebel, n'est nullement surpris de l'attirance qu'exerce le secteur privé sur les ingénieurs. «Ça n'est pas nouveau. Cette proportion est la même depuis plusieurs années.»

On peut y lire aussi que 12,4% des membres de l'Ordre se dirigent vers les secteurs publics et parapublics. Et 4% se consacrent à la formation de la prochaine génération dans les écoles d'ingénierie. Enfin, les 21,4% restants sont non classés ou inactifs.

Ingénieurs manufacturiers

Dans le secteur privé québécois, c'est l'activité manufacturière qui est la plus vorace. Près du quart (23,1%) des membres de l'Ordre qui ont choisi le secteur privé travaillent dans des entreprises de fabrication, qui regroupent 14 610 personnes. Chez les jeunes, la tendance est encore plus marquée. Selon un sondage mené par l'École de technologie supérieure (ETS) auprès de ses diplômés 2012-2013, les deux tiers choisissent le secteur manufacturier. Oui, mais qu'est-ce qu'ils fabriquent?

«Des aéronefs!», répondent en choeur les experts consultés.

Pierre Rivest est directeur des stages à l'ETS. Il constate que les firmes du monde aéronautique sont extrêmement gourmandes de jeunes ingénieurs québécois. «C'est quasi la moitié de nos stagiaires qui sont recrutés par les fabricants d'aéronefs, 400 sur 880 en 2012-2013. En 2013, Bombardier nous en a pris 150 et Pratt&Whitney, une centaine.»

Même constatation à Polytechnique Montréal. «C'est la destination numéro un, confirme Allan Doyle, directeur des services de stages et de placement. Avouez que c'est plus sexy de dire à vos proches que vous allez concevoir des ailes d'avions supersoniques plutôt que des fosses septiques, quoique le second choix est tout aussi honorable.»

Pierre Rivest constate quant à lui l'attrait constant de la conception de produits métalliques auprès des ingénieurs. «On va chez CANAM faire des charpentes, des ponts ou des usines minières. Ou on va chez Novabus faire des véhicules.»

Le rapport annuel de l'Ordre va dans le même sens et calcule que 15,5% des ingénieurs québécois travaillant dans le secteur manufacturier sont employés par des entreprises qui font des produits métalliques. «C'est effectivement un secteur de plus en plus populaire ces dernières années», confirme Daniel Lebel.

Déclin et pénurie

M. Lebel constate aussi que les ingénieurs suivent les fluctuations de l'industrie avant de choisir l'entreprise où ils feront leur carrière. «Ainsi, des secteurs où les ingénieurs affluaient il y a 20 ans sont maintenant complètement délaissés. Le textile et la papeterie sont de bons exemples de cette désaffection.»

La pétrochimie, qui a presque complètement disparu de l'est de Montréal, en est un autre exemple. Cela veut-il dire que le génie chimique bat de l'aile au Québec? «Non, répond Allan Doyle. Curieusement, de nouveaux débouchés très intéressants sont apparus dans l'entreprise pour nos passionnés de chimie appliquée. On a beaucoup besoin d'eux en transformation alimentaire et dans tout le monde des technologies vertes.»

Il y a toutefois un domaine où la désaffection des ingénieurs, surtout les jeunes, est paradoxale: celui du génie informatique et logiciel. «Là, la bulle techno a fait mal, constate Allan Doyle. Depuis 10 ans, les jeunes délaissent cette destination, sûrs que l'ouvrage manque, alors que c'est exactement le contraire.»

En 2000, 100 diplômés de Polytechnique se dirigeaient vers le génie informatique, contre seulement 40 en 2012-2013. «Le secteur privé en voudrait une centaine!», s'exclame Allan Doyle.

Même sonnerie d'alarme à l'ETS. «On avait 250 inscriptions en 2003 et 200 en 2013, note Pierre Rivest. En 2012, on a eu 114 finissants en génie logiciel, et l'industrie nous en réclamait 450! C'en est au point où on est prêt à payer 65 000$ de salaire dès la première année d'emploi pour les attirer.»

Et c'est peut-être aussi à tort que l'on boude le génie électrique. «Partout en Amérique du Nord, remarque M. Rivest, on voit un déclin de cette spécialité, alors que l'on note une pénurie, surtout en ce qui concerne la conception d'appareils d'électricité de grande puissance.» On pense ici, entre autres, aux sous-traitants d'Hydro-Québec.

Modifier la loi

Savez-vous que si vous êtes diplômé en génie biomédical, vous passerez peut-être toute votre carrière avec le statut d'ingénieur junior plutôt qu'avec une pleine reconnaissance professionnelle?

«Il y a de nouvelles spécialités que la loi sur les ordres professionnels, qui date de 50 ans, n'avait pas prévues, explique Daniel Lebel. Nous espérons grandement que la refonte de la loi, prévue par le projet de loi 49, corrigera ces lacunes. Nous espérons son adoption avant Noël.»