On entend souvent parler au Québec de la difficulté qu'ont les immigrants à s'intégrer au marché du travail. Qu'en est-il des ingénieurs?

C'est ce qu'a cherché à savoir le Réseau des ingénieurs du Québec (RéseauIQ) dans le cadre de son enquête sur la rémunération des ingénieurs salariés de 2010.

«Nous avons sondé les ingénieurs en emploi, donc nos résultats sont probablement la pointe de l'iceberg si nous considérons tous ceux qui n'ont pas encore d'emploi. Il faudrait éventuellement aller plus loin dans nos recherches, mais les résultats de l'enquête nous donnent une idée de ce que peuvent vivre les ingénieurs issus de l'immigration», indique d'emblée Lise Lauzon, directrice, service carrière, au RéseauIQ.

Quels sont les résultats les plus frappants? D'abord, il semble que chez les ingénieurs immigrants, le fait d'avoir obtenu son diplôme au Canada ou à l'étranger influence grandement leur parcours.

«C'est certain que quelqu'un qui étudie ici a la chance d'apprendre la langue, de se familiariser avec la culture, de faire des stages, de participer à des journées carrières et de se faire des contacts, donc c'est beaucoup plus facile lorsque vient le temps de se trouver un emploi», affirme Mme Lauzon.

Alors que 23% des ingénieurs nés et ayant étudié au Canada ont connu des périodes d'inactivité d'une durée moyenne de 0,5 année, le pourcentage est de 27% chez les ingénieurs nés à l'étranger qui ont fait leurs études au Canada. Chez les ingénieurs nés et diplômés à l'étranger, la proportion monte à 52% et la durée moyenne de l'inactivité grimpe à un an et demi.

Et plus l'ingénieur arrive avec de l'expérience, plus il semble avoir de la difficulté à s'intégrer. 42% des répondants arrivés alors qu'ils étaient âgés de 25 à 34 ans ont vécu une période d'inactivité moyenne de 1,2 an alors que 60% de ceux arrivés à plus de 34 ans ont été inactifs pendant 1,9 an en moyenne.

«Près de deux ans d'inactivité, c'est énorme! C'est une perte pour la société. On ne peut pas ignorer cette réalité, d'autant plus que dans plusieurs domaines de génie, on vit une rareté de personnel. Pourtant, le talent arrive de l'extérieur, mais c'est comme si on n'arrivait pas à faire le lien entre les deux. Il faudrait arriver à un meilleur arrimage», croit Mme Lauzon.

Des salaires moindres

En génie, le salaire est directement lié aux années d'expérience. Ainsi, les répondants nés au Canada qui avaient 16 ans d'expérience au Canada avaient un salaire annuel de base de 88 100$.

Or, un ingénieur qui comptait 10 années d'expérience dans son pays d'origine et 21 au Canada avait un salaire annuel de base de 78 000$.

«Les différences salariales sont significatives. C'est une hypothèse, mais on peut penser que de façon générale, l'expérience acquise à l'étranger n'est pas reconnue par les employeurs», affirme Lise Lauzon.

Les répondants nés et ayant étudié à l'étranger sont également les plus nombreux, toutes proportions gardées, à oeuvrer en génie (78%) et les moins nombreux à oeuvrer en gestion (12%). Or, la rémunération directe moyenne en gestion est beaucoup plus élevée qu'en génie: soit respectivement 125 700$ et 90 200$.

«Est-ce que c'est un choix de la part des ingénieurs issus de l'immigration, où existe-t-il un plafond de verre? questionne Mme Lauzon. Je crois qu'il serait important d'aller plus loin dans nos recherches pour mieux comprendre la réalité des immigrants et arriver à mieux les intégrer.»

ingénieurs issus de l'immigration, 2 parcours

>Nom: Charles Chebl

>Titre: vice-président principal et directeur général, groupe bâtiment-Québec, SNC-Lavalin Construction

>Lieu de naissance: Liban

>Formation: baccalauréat en génie civil à l'Université de Moncton et maîtrise en génie civil avec spécialisation en structure à l'Université de Sherbrooke (UdeS).

>Maîtrise de la langue française à son arrivée au Canada: bonne

>Cheminement de carrière: «Après ma maîtrise, en 1982, c'était la crise économique, donc il y avait peu de projets. J'ai donc accepté un contrat de deux ans comme ingénieur-chercheur à l'UdeS. Ensuite, j'ai postulé chez SNC-Lavalin où j'ai commencé à travailler en 1984 comme ingénieur en structure. En 1997, j'ai fait un peu de gestion dans le cadre d'un grand projet en Algérie et par la suite, j'ai continué en gestion.»

>Nom: Farid Yanni

>Titre: ingénieur mécanique chez Pageau Morel

>Lieu de naissance: Liban

>Formation: baccalauréat en génie mécanique à l'Université américaine de Beyrouth

>Maîtrise de la langue française à son arrivée au Canada: faible

>Cheminement de carrière: «J'ai travaillé comme ingénieur en mécanique du bâtiment au Liban pendant 10 ans. En arrivant à Montréal, en septembre 2005, je me suis concentré sur les examens de l'Ordre des ingénieurs du Québec et sur l'apprentissage du français. J'ai aussi suivi un atelier de recherche d'emploi pour immigrants. J'ai commencé à chercher un emploi en décembre, une fois que j'ai eu les résultats de mes examens de l'Ordre. Pendant ce temps, je travaillais aussi dans un casse-croûte à flipper des hamburgers! Mais c'était bien, parce que ça me donnait des sous et 80% de la clientèle était francophone, donc je les servais en français. J'ai finalement eu un poste chez Pageau Morel en février 2006 et je suis content parce que mon expérience antérieure en mécanique du bâtiment m'est toujours utile. Toutefois, comme la firme est à la fine pointe de la technologie en écoconception et en efficacité énergétique, j'ai eu beaucoup à apprendre. Au Liban, il ne fait pas -25°C comme au Québec, donc le chauffage n'est pas nécessairement une priorité!»

Enquête sur la rémunération 2010 du RéseauIQ

Quelques points saillants:

La crise économique ne semble pas avoir épargné les ingénieurs: alors que depuis 2005-2006, les répondants rapportaient toujours des augmentations salariales annuelles de plus de 5%, la moyenne a été de 3,7% pour 2009-2010.

Ainsi, au 1er février 2010, le salaire moyen d'un ingénieur ayant un peu plus de 16 ans d'expérience était de 87 800$, alors que la rémunération directe moyenne (incluant les bonus) était de 97 200$.

Les ingénieurs qui détenaient un MBA avaient un salaire de base moyen de 112 800$, avec une d'expérience moyenne de 20,5 ans. En guise de comparaison, pour environ le même nombre d'années d'expérience, les ingénieurs qui détenaient une maîtrise dans un autre domaine avaient un salaire de base de 93 000$.

«Bien souvent, les gens qui font un MBA visent des postes de gestion qui donnent des salaires plus élevés», explique Lise Lauzon, directrice, service carrière, au RéseauIQ.

Les ingénieurs faisaient en moyenne des semaines de 38,2 heures. Un peu plus de 60% avaient la possibilité d'effectuer du télétravail et 75% avaient des horaires flexibles.

Partager