En vertu de l'Accord économique et commercial global (AECG) avec l'Europe, le Canada s'apprête à améliorer la protection de la propriété intellectuelle des entreprises pharmaceutiques établies au pays. Marie-Hélène Rochon, associée et agente de brevets au sein du cabinet d'avocats Norton Rose Fulbright, nous explique pourquoi et comment.

Q- Tout d'abord, qu'est-ce que l'Accord économique et commercial global?

R- C'est un traité commercial très englobant qui vise, entre autres, à abolir les frontières tarifaires entre l'Union européenne et le Canada. On veut aussi harmoniser le plus possible les lois et normes en vigueur de chaque côté de l'Atlantique. On a négocié pendant cinq ans et, le 26 septembre dernier, le texte final, approuvé par les deux parties, a été dévoilé.

Q- Que dit ce texte à propos de l'industrie biopharmaceutique?

R- Il améliore tout d'abord la protection des brevets de cette industrie. La durée de protection est normalement de 20 ans. Là, les biopharmaceutiques pourront voir cette protection allongée jusqu'à 22 ans dans certains cas.

Q- Pourquoi la durée de protection est-elle allongée?

R- Parce qu'il arrive que, quand la pharmaceutique commence à mettre enfin le nouveau produit breveté en marché, la protection du brevet est déjà si entamée qu'il ne reste à la pharma que quatre ou cinq ans pour réaliser des revenus avant que les compagnies génériques lui ravissent une bonne partie de son marché. Je vous donne un exemple: Theratechnologies, la biotech montréalaise, découvre la tésamoréline en 1995. Or, il aura fallu attendre la fin de 2010 pour que l'entreprise obtienne enfin la permission de commercialiser le produit aux États-Unis. Donc, il ne reste que cinq ans à l'entreprise pour engranger les revenus, couvrir ses frais de développement et entrer dans la zone des profits. Avec l'allongement potentiel de deux ans, la biopharma a deux ans de revenus exclusifs supplémentaires avant que les génériques viennent lui prendre une part de son marché.

Q- Donc, dorénavant, tous les brevets pharmaceutiques canadiens dureront 22 ans?

R- Pas exactement. L'allongement consenti ne l'est que quand des retards administratifs ont retardé le moment de la mise en marché. Si, par exemple, il a fallu un temps extrêmement long pour que Santé Canada étudie les données cliniques de l'entreprise avant de donner son feu vert et d'approuver la mise en marché du nouveau produit, on pourra accorder la prolongation, ne dépassant pas un maximum de deux ans.

Q- Du coup, sommes-nous à parité avec les normes européennes?

R- Non. En Europe, une biopharmaceutique peut obtenir une prolongation de son brevet, et donc de l'exclusivité du marché pour sa nouvelle molécule, allant jusqu'à cinq ans. Avant l'AECG, l'allongement au Canada était nul. Après les négociations avec l'Europe, Ottawa a consenti à deux ans. On est loin des cinq ans européens.

Q- Était-ce le seul point où des disparités existaient?

R- On a aussi discuté de la protection des données des pharmaceutiques innovatrices. Ces données sont essentielles aux génériques qui veulent copier le produit original. En Europe, les données sont inaccessibles aux génériques pendant les 10 ans qui suivent l'approbation de mise en marché du nouveau produit. Au Canada, c'est huit ans. On a eu beau en discuter à la table de l'AECG, le Canada n'a pas bougé là-dessus.

Par contre, les innovatrices reçoivent un droit d'appel qu'elles n'avaient pas avant. Quand pharmas innovatrices et génériques se retrouvent devant la Cour fédérale spécialisée qui juge leurs litiges, les génériques peuvent en appeler du jugement de cette cour jusqu'en Cour suprême, mais pas les innovatrices. Maintenant, le droit d'appel est aussi conféré aux innovatrices.