Des négociations entre le Canada et l'Union européenne ont abouti, le 18 octobre dernier, à la signature d'un accord de principe sur une vaste liste de questions économiques et commerciales. Parmi les dispositions de cet accord de libre-échange, deux concernent directement la propriété intellectuelle et l'industrie pharmaceutique.

L'accord de principe reconnaît aux sociétés pharmaceutiques un prolongement potentiel de la durée de leurs brevets pouvant aller jusqu'à deux ans. «Cette prolongation est offerte aux pharmaceutiques en Europe, mais ne l'était pas au Canada», explique Marie-Hélène Rochon, agente de brevets chez Norton Rose Fulbright, à Montréal.

En substance, tant que le brevet couvre le médicament, la société pharmaceutique jouit d'un monopole sur le marché. Personne ne peut copier son invention et offrir cette copie générique sur le marché.

Pourquoi prolonger ce monopole des sociétés pharmaceutiques innovatrices? «C'est qu'avant de lancer leurs nouveaux médicaments, les pharmaceutiques doivent faire des études longues et détaillées sur des patients, rappelle Mme Rochon. Puis, les autorités réglementaires épluchent longuement les résultats des études avant de permettre ou non la commercialisation du nouveau médicament. Cela peut prendre des mois, souvent des années.»

Pendant ce temps, la durée de couverture du brevet diminue - d'où, en guise de compensation, une prolongation pouvant atteindre cinq ans en Europe. «Pendant la négociation de l'accord d'octobre, dit Mme Rochon, les Européens voulaient que nous consentions aussi des prolongations de cinq ans. Nous avons dit oui au principe de prolongation, mais pour un maximum de deux ans seulement.»

Les innovatrices satisfaites

Il va de soi que l'industrie pharmaceutique innovatrice canadienne se frotte les mains de satisfaction devant l'annonce de l'accord. Les génériques pourraient donc attendre deux ans de plus pour copier les médicaments innovateurs. Deux ans pendant lesquels le médicament se vendra au prix fort, plutôt qu'au prix moins élevé de l'imitation offerte par les génériques.

«Des règles du jeu plus équitables en matière de propriété intellectuelle peuvent conduire à davantage d'investissements dans la recherche et le développement de vaccins et de médicaments chez nous», estime Russell Williams, président de Rx&D, le regroupement des entreprises de recherche pharmaceutique du Canada.

On ménage les génériques

Si l'allongement de la protection du brevet avantage les sociétés pharmaceutiques innovatrices, un autre aspect des négociations de l'accord entre le Canada et l'Europe maintient intact un droit des génériques.

L'Europe avait demandé au Canada de l'imiter en ce qui concerne la protection des données recueillies par la société pharmaceutique innovatrice.

En Europe, ces précieuses données sont protégées pendant 10 ans à partir de la date où les autorités réglementaires acceptent la commercialisation du nouveau médicament. Les génériques n'y ont accès qu'après cette période. C'est à ce moment seulement qu'elles peuvent commencer à s'en servir pour préparer leur copie du médicament innovateur.

Le Canada, quant à lui, protège les données pendant seulement huit ans à partir de l'approbation réglementaire.

«Le Canada a refusé de bouger là-dessus, indique Mme Rochon. On a clairement voulu laisser aux pharmaceutiques génériques une partie de l'espace de manoeuvre qui leur est reconnu.»

Médicaments plus chers?

Si l'industrie du médicament innovateur a de quoi se réjouir, qu'en est-il des consommateurs? Les patients canadiens et leurs assureurs vont-ils pâtir? Le prix des médicaments va-t-il grimper?

Pas à court terme, selon le Conference Board du Canada. Son analyse montre que le régime de propriété intellectuelle ne constitue jamais un outil de contrôle des prix des médicaments.

Le Conference Board cite, notamment, le cas de la Suisse, dont le World Economic Forum estime qu'elle a le régime de protection de brevets le plus généreux. Pourtant, de 2008 à 2010, la facture de médicaments en Suisse a représenté 1,1% du produit intérieur brut (PIB) du pays, alors que celle du Canada s'élève à 1,9% du PIB.

Droit d'appel

Une autre disposition de l'accord accorde aux sociétés pharmaceutiques innovatrices un droit qu'elles n'avaient pas auparavant.

«Quand une compagnie de médicaments génériques introduit sa copie sur le marché, la pharma innovatrice peut contester et dire que son brevet est violé, précise Marie-Hélène Rochon. Les autorités rendent une décision, et si la compagnie générique perd, elle peut aller en appel. Pas la pharmaceutique innovatrice.» L'accord avec l'Europe introduit un droit d'appel pour les innovatrices aussi.

On le voit, on accorde cet appel et une possible prolongation de la durée du brevet, mais pas autant que ce que les Européens réclamaient, et pas autant qu'auraient aimé obtenir les sociétés pharmaceutiques innovatrices.

«Je crois que le Canada a voulu garder un certain équilibre entre les innovatrices et les génériques», estime Mme Rochon.

C'est aussi l'opinion du Conference Board, qui affirme dans son rapport sur la question que les sociétés innovatrices ont une mesure incitative supplémentaire pour investir en recherche ici, alors que les génériques perdent relativement peu.