On ne voit aucune nouvelle tour à bureaux s'ériger au centre-ville? Elles sont remplacées par des édifices de toutes natures en rupture de vocation. C'est ce que André G. Plourde appelle les grues invisibles. «Plusieurs immeubles font l'objet de transformation, mais c'est souvent fait sous l'écran radar, affirme le président du Groupe Immobilier de Montréal. Les gens ne le voient pas.»

Il donne l'exemple de deux immeubles construits dans les années 50 dans le quartier Mile End pour accueillir des entreprises d'une industrie de la confection aujourd'hui pratiquement disparue. Les deux édifices du 5455 et 5445, de l'avenue De Gaspé ont été rachetés par la fiducie Allied Properties, au printemps 2011 pour le premier, et il y a quelques semaines pour le second.

À eux deux, ils offrent autant de surface de bureaux que la Place Ville-Marie - près d'un million de pieds carrés!

«Ça vient jouer dans les plates-bandes de certains promoteurs qui ont l'ambition de construire de nouvelles tours, mais qui requièrent une prélocation importante à des taux de loyer élevés», soutient André G. Plourde.

Son passé de métropole canadienne a laissé à Montréal un large parc d'immeubles industriels et commerciaux en perte d'usage. Ce sont les transformations en condos qui font les manchettes, mais plusieurs sont discrètement transformés en bureaux.

Montréal a été parmi les premières villes nord-américaines à développer une expertise pour la réhabilitation de ses bâtiments désaffectés. La remise en état des Cours Le Royer, dans le Vieux-Montréal, à la fin des années 70, a marqué le début de cette nouvelle préoccupation.

Les usines du début du XXe siècle montrent des plafonds élevés, sont souvent baignées de lumière naturelle. «Ce sont des bâtiments qui ont un potentiel de recyclage exceptionnel et qui ont une durée de vie pratiquement éternelle si on y fait attention», fait valoir Clément Demers, professeur à l'École d'architecture de l'Université de Montréal.

Cependant, tout édifice âgé ne mérite pas d'être conservé, ni ne se prête au maquillage. Lorsqu'on tente d'imposer un projet irréconciliable avec la nature et l'état de l'édifice, «ça finit par mal tourner, tant sur le plan financier que sur celui de la qualité du bâtiment», soutient Marie Lessard, professeure à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal et présidente du Conseil du patrimoine de Montréal. «Il faut bien regarder les caractéristiques du bâtiment et ne pas essayer de les cacher, de les transformer. Il faut que l'usage puisse s'y adapter. C'est pourquoi c'est si difficile pour les églises.»

Le triste après-guerre architectural

Les constructions industrielles d'après-guerre, malheureusement, ne laisseront pas de souvenirs impérissables. Cependant, d'autres critères que la valeur historique ou architecturale peuvent militer en faveur de la réhabilitation d'un bâtiment. «Des aspects sociaux, notamment, ce que ça représente pour une société ou un quartier», fait valoir Marie Lessard.

Les immeubles de la rue De Gaspé n'ont pratiquement aucun intérêt patrimonial ou esthétique. Ce sont de grandes boîtes rectangulaires, comme des mille-feuilles de béton et de verre.

L'industrie créative

«Ce ne sont pas des immeubles qui ont gagné des prix d'architecture, reconnaît André Plourde. On essaie de les rendre un peu plus intéressants, mais de surtout créer des environnements de travail qui sont propices à l'industrie créative: le jeu vidéo, les agences de publicité, les ateliers d'architecture, les firmes de communication, qui ne sentent pas toujours à l'aise de se localiser dans un centre-ville.»

C'est dans l'aménagement des bureaux de ces créatifs que l'on trouvera de la valeur architecturale. C'est ce que Sid Lee Architecture a réussi dans les bureaux d'Attraction Médias, au 5455, De Gaspé. L'immense surface du 8e étage a été divisée en aires de travail distinctes, chacune dotée de son caractère propre, à la manière des quartiers d'une petite ville.

«Ces bâtiments ont souvent beaucoup de lumière, beaucoup de dégagement en hauteur, et ils sont souvent bien situés, souligne Clément Demers. Ça devient évidemment des immeubles de classe B, mais ce qui est important dans une ville, c'est d'être capable d'offrir des espaces à bureaux avec des loyers de tous types, pas seulement des loyers très élevés pour des bureaux d'avocats.»