La gouvernance ne peut plus être seulement un travail de surveillance des activités des organisations. Elle devrait imprégner toute la culture d'entreprise, en commençant par renouveler les habitudes des conseils d'administration, croient des spécialistes interrogés par La Presse. Cette demande d'éthique crée un nouveau paradigme auquel les organisations n'auront pas le choix de s'adapter. Pour ce faire, ils proposent de cibler et d'énoncer clairement des valeurs d'entreprise partagées par tous les membres, prioritaires et non négociables. Un reportage en cinq points de nos collaborateurs Didier Bert, Laurence Niosi et Mélissa Proulx.

1. Éviter la méfiance

Les organisations ne doivent plus prendre leurs décisions comme si elles étaient coupées du monde, car cet isolement entretient la méfiance de la société. «Quand le lien est brisé, il n'y a plus de confiance», illustre Donald Riendeau, directeur général et fondateur de l'Institut de la confiance dans les organisations (ICO).

«La gouvernance ne doit pas bâtir une culture de confiance seulement à l'intérieur de l'organisation, mais aussi avec les multiples parties prenantes», soutient M. Riendeau. Ces parties prenantes peuvent être les dirigeants, les actionnaires, les travailleurs, la communauté locale et les détenteurs d'obligations.

La confiance ne se regagnera pas avec de grandes campagnes de relations publiques, affirme Donald Riendeau, qui croit que les administrateurs doivent engager les organisations dans une vraie démarche éthique. Cette action est déjà vitale pour certaines d'entre elles. L'Autorité des marchés financiers (AMF) exige ainsi un dossier impeccable de probité pour autoriser les entreprises du secteur de la construction à décrocher un contrat public de 40 millions et plus.

2. Rétablir la réputation

Les entreprises doivent se doter d'une vision à long terme. Si leur horizon est trop rapproché, elles prennent le risque de manquer à leur devoir d'éthique, et ainsi nuire à leur réputation pour longtemps, prévient Donald Riendeau.

«Pour un administrateur, le risque réputationnel est le plus important», souligne-t-il. Les administrateurs ont de plus en plus peur de s'associer à une organisation dont l'image est ternie. «Qui veut aller siéger au conseil d'administration d'une firme de génie aujourd'hui... si la rémunération n'est pas très élevée?»

3. Diversifier le conseil d'administration

Pour que l'organisation ne soit plus isolée, et qu'elle prenne du recul sur sa manière d'obtenir des résultats, il faut repenser la façon de choisir les membres de son organe directeur. «Le conseil d'administration doit être composé d'une majorité de membres légitimes, crédibles et indépendants, capables de forcer les cadres de l'entreprise à rendre des comptes, et dotés d'un solide code de déontologie», souligne Michel Nadeau, directeur général de l'Institut sur la gouvernance des organisations publiques et privées (IGOPP).

«Il doit être composé d'individus qui, tout en partageant les mêmes valeurs, ont une multiplicité de perspectives, c'est-à-dire qui ont des expertises, des compétences et des bagages culturels différents, qui sont impliqués dans d'autres industries ou marchés. Les cinq camarades qui ont étudié au même collège risquent fort de former un conseil homogène, moins pertinent pour les hauts dirigeants. Les conseils d'administration les plus performants sont souvent les plus diversifiés», assure Me Clément Mayr, associé au sein de la pratique du droit des affaires chez McCarthy Tétrault.

Les firmes impliquées dans les scandales de l'industrie de la construction n'avaient pas de conseil d'administration, ou bien celui-ci était composé uniquement d'ingénieurs, affirme M. Nadeau. «On ne peut pas tout savoir de l'entreprise, mais on doit poser les bonnes questions et soulever des enjeux», explique-t-il.

Ce questionnement aidera les cadres à mieux comprendre ce qu'on attend d'eux, et à se sentir soutenus dans leurs décisions. D'ici là, «l'encadrement reste déchiré entre répondre aux attentes à court terme des actionnaires opportunistes et à celles à plus long terme des actionnaires comme les caisses de retraite», prévient Michel Nadeau.

4. Mieux former les membres

M. Nadeau juge que les administrateurs doivent être mieux formés et travailler plus fort. «Il faut accepter de faire plus d'heures pour mieux comprendre le modèle d'affaires de l'organisation. Le conseil doit placer la barre plus haut», affirme-t-il.

«On exige beaucoup d'indépendance du conseil, mais on voit que les administrateurs qui siègent à ces conseils n'avaient pas toutes les compétences requises dans certains milieux spécifiques. C'est quelque chose qui se corrige, à savoir de recruter des administrateurs qui ont ces compétences», souligne Louise Champoux-Paillé, présidente du Cercle des administrateurs certifiés.

Cette approche exige que les administrateurs soient objectifs et aient une connaissance approfondie de l'entreprise, de son industrie et de son marché. «J'encourage les administrateurs à avoir d'autres points de contact dans l'entreprise, à aller sur place visiter l'usine, voir les opérations et les employés, afin de mieux connaître les réalités, défis et risques de l'organisation. Cette information s'ajoute au dialogue entretenu avec la haute direction. Plus une organisation est grande et complexe, plus cette cueillette d'informations est importante», affirme Me Clemens Mayr.

Pour Bruno Déry, président et chef de la direction du Collège des administrateurs de sociétés de l'Université Laval, qui offre des formations en gouvernance, d'autres éléments rentrent également en jeu. «Les organisations d'autorégulation comme l'Autorité des marchés financiers, les codes d'éthique qu'on fait signer aux organisations font aussi partie de la solution», dit-il.

5. Miser sur les valeurs

La méthode d'évaluation des dirigeants est également à revoir, ajoute-t-elle. " On insiste beaucoup sur le combien de profits réalisés, on insiste peu sur le comment. Et le comment, c'est les valeurs», ajoute Mme Champoux-Paillé.

Ultimement, un conseil d'administration qui ne s'occupe pas de mettre en place une culture éthique ne survivra pas à long terme, estime René Villemure, fondateur de l'Institut québécois d'éthique appliquée. «Les règles, c'est le réflexe numéro un. Mais quelqu'un peut facilement les contourner», résume-t-il.

Une culture intègre et transparente est d'autant plus importante à l'ère des médias sociaux et de l'internet. «On demande à tout le monde de rendre des comptes, et on sait que chacun doit expliquer ses bons comme ses mauvais coups», souligne Michel Nadeau.

L'éthicien René Villemure est toutefois d'avis que les entreprises qui se soucient de leur intégrité sont encore une minorité. «Il y a des entreprises qui réussissent à ne jamais payer de pots-de-vin. Mais même si elles perdent des parts de marché, ce sont celles-ci qui durent», conclut-il.