Doyenne de la faculté de gestion Desautels de l'Université McGill, Isabelle Bajeux-Besnainou se dit perturbée par la sous-représentation des femmes en finance. Après trois décennies à observer la situation en France, aux États-Unis et au Canada, elle tente de renverser la vapeur.

Au milieu des années 80, durant votre doctorat en mathématiques appliquées aux finances, à l'Université Paris-Dauphine, étiez-vous l'une des rares femmes ?

Durant mes classes préparatoires et l'école supérieure en mathématiques, il n'y avait que 10 % de femmes. Je n'étais pas la première à faire des mathématiques appliquées aux finances, mais je crois avoir été une défricheuse. J'espère pouvoir donner l'exemple à plusieurs générations, en particulier à mon garçon et à mes deux filles, en leur montrant que le ciel n'a pas de limites.

Lors de vos années d'enseignement à l'ESSEC Business School en France et à l'Université George Washington aux États-Unis, sentiez-vous que vos occasions étaient limitées parce que vous étiez une femme ?

Jamais. Les possibilités de publication sont essentiellement liées à la qualité de l'article, mais les réseaux de contacts sont aussi importants. Certaines personnes croient que c'est plus difficile pour les femmes de s'établir dans ces réseaux. Ce n'était pas mon cas. Mais j'ai connu des difficultés, parce que j'ai voulu faire de la place à mes enfants dans ma vie. J'ai attendu longtemps avant de m'investir dans des postes de leadership, probablement plus qu'un homme avec des enfants ne l'aurait fait.

Comment se compare la place des femmes en finance au Canada, en France et aux États-Unis ?

En France, environ 40 % des membres des conseils d'administration sont des femmes, contre 20 à 25 % au Canada et aux États-Unis. Le gouvernement français a établi des quotas obligeant l'atteinte de la parité entre les hommes et les femmes. J'ai longtemps pensé que cette idée n'avait pas de sens. Cependant, aux États-Unis, j'ai observé les progrès réalisés, en particulier dans le monde académique, grâce aux politiques d'actions volontaires visant à recruter des femmes professeures et leur permettre d'avoir une carrière.

En 2018, pourquoi la place des femmes en finance est-elle encore un enjeu ?

C'est une question que je me pose tous les jours. À mes débuts à l'Université George Washington, il y a environ 25 ans, j'étais la seule femme parmi 15 professeurs. Quand je suis devenue doyenne à McGill, il y a bientôt trois ans, c'était le même ratio. Depuis, j'ai recruté une autre professeure de finance et on fournit un effort délibéré pour changer la situation. Parmi nos étudiants au baccalauréat en commerce, recrutés uniquement pour leurs qualités académiques, 52 % sont des jeunes femmes. On peut donc dire qu'à cette étape, les femmes ont une certaine supériorité. En revanche, quand vient le temps d'étudier les finances plus en profondeur, on retrouve moins de femmes. C'est quelque chose qui me perturbe beaucoup.

Comment expliquez-vous cela ?

Je pense que la société croit encore que les métiers en finance sont masculins et que c'est difficile pour les femmes d'y faire leur place. Pourtant, les banques veulent embaucher davantage de jeunes femmes et les métiers en finance permettent de plus en plus un équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. À McGill, on essaie de briser le cercle vicieux des fausses perceptions en invitant plusieurs femmes qui ont du succès en finance à parler en classe.