La finance est un milieu encore très masculin, mais plusieurs hommes encouragent leurs consoeurs en mettant sur pied des mesures pour leur faire plus de place. Afin de reconnaître cet apport, l'Association des femmes en finance du Québec (AFFQ) a créé le prix Alter Ego. Entrevue avec le premier lauréat du prix, Martin Thibodeau, président régional du Québec de RBC Banque Royale.

Comment voyez-vous l'apport des femmes dans le milieu de la finance ?

J'ai été témoin du changement que les femmes apportent lors de réunions. Elles s'attardent à des choses que les hommes ne voient pas. Elles voient les impacts collatéraux des décisions qui sont prises. Elles sont aussi plus organisées.

Avez-vous un exemple concret ?

Lorsque je travaillais à la direction du secteur commercial et d'agriculture au Manitoba, en Saskatchewan et dans le nord de l'Ontario, notre équipe était composée de 13 vice-présidents, tous masculins. Les débats étaient rapides et les décisions prises tout aussi promptement. L'équipe n'était toutefois pas très performante. Lorsque j'ai nommé deux vice-présidentes, dont une autochtone, tout a changé. Les débats sont devenus meilleurs et les réunions, beaucoup plus structurées et profondes. Une équipe diversifiée donne de meilleurs résultats.

Quelles mesures avez-vous mises en place pour augmenter le nombre de femmes dans des postes de direction ?

Ce que je regarde, c'est le talent. C'est pour cela que nous avons mis sur pied un programme de talent. Très tôt, on identifie ceux et celles qui ont un potentiel émergent. Il y a aussi notre programme de mentorat qui fait en sorte que des dirigeants agissent comme mentors auprès de 40 personnes pour une période d'un an. Les hommes ont beaucoup de réseaux, ce qui n'est pas toujours le cas pour les femmes. On leur dit : « Sortez de votre zone de confort. » On lance le message qu'il est permis de prendre des risques.

Est-ce que vous avez constaté des résultats depuis que ces initiatives ont été mises en place ?

En quatre ans, nous sommes passés de 40 % de femmes qui détenaient des postes de gestionnaire à 58 %. Le bassin de talent est présent et assure une place pour les femmes dans les années à venir.

Vous avez dépassé la parité. Avez-vous fait l'objet de critiques ?

La finance est encore un monde d'hommes. On ne me le dit pas directement, mais je suis certain que plusieurs n'aiment pas cela et qu'ils croient que je suis dans un « trip féministe », mais ce n'est pas cela du tout. Inconsciemment, je vais continuer de m'entourer de gens qui me ressemblent, c'est-à-dire d'hommes. Il va toujours y avoir de la place pour eux. Le but n'est pas de tomber dans l'autre extrême, mais d'avoir un équilibre et une plus grande diversité sur le plan du talent.

Quel est votre prochain défi ?

Augmenter la présence des minorités visibles. Je veux représenter plus fidèlement la société. Aujourd'hui, le Québec, ce n'est plus uniquement des Tremblay et des Gagnon.

Quels conseils donneriez-vous aux gestionnaires pour augmenter la présence des femmes dans des postes de direction ?

Réalisez que vous avez des préjugés inconscients et changez vos perceptions. Il faut se changer soi-même avant de penser changer une organisation. Ensuite, mettez en place des programmes pour vous aider à atteindre vos objectifs. L'organisation aussi doit vous soutenir. Finalement, je dirais : ayez confiance. Ce n'est pas parce que quelqu'un ne sait pas tout qu'il n'est pas à sa place. J'ai en mémoire une femme que j'avais envoyée gérer 50 pourvoiries dans le nord de l'Ontario. Elle n'avait jamais pêché de sa vie. J'ai reçu des appels de tous les propriétaires qui désapprouvaient cette nomination. À peine trois mois plus tard, il n'y en a pas un qui n'était pas satisfait de son travail. Elle avait réussi à les sortir de la crise financière de 2008.