La Presse a demandé à deux experts des politiques énergétiques de décrypter les intentions du gouvernement québécois en matière d'exploitation gazière, une semaine après le lancement de la consultation publique sur les enjeux énergétiques.

Jean-Thomas Bernard, professeur invité à l'Université d'Ottawa, et Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal, se rejoignent sur un point: la firme Petrolia a un gros coup à jouer à Anticosti. La société rimouskoise d'exploration pétrolière détient les droits pétroliers d'Hydro-Québec sur l'île.

Anticosti sera le laboratoire québécois de l'exploitation d'hydrocarbures et de gaz par la technique de la fracturation, croient les deux spécialistes.

«Le gouvernement autorisera la fracturation pour le pétrole à Anticosti beaucoup plus rapidement que pour le gaz de schiste», assure M. Pineau. Le professeur de HEC Montréal observe que Québec ne traite pas des gaz de schiste dans le document de consultation de la Commission sur les enjeux énergétiques, intitulé De la réduction des gaz à effet de serre à l'indépendance énergétique du Québec.

En février, le gouvernement a renvoyé l'étude du gaz de schiste devant le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE). «Mais comme les exploitations du pétrole de schiste et du gaz de schiste sont similaires, cela mériterait un traitement commun», regrette M.Pineau.

De plus, le cadre réglementaire de l'exploitation pétrolière est en cours de modernisation, selon le document de consultation. C'est une manière de remettre la question des hydrocarbures à plus tard, croit M. Pineau. Pourtant, même «Petrolia aimerait bien savoir ce qu'elle peut faire ou pas en termes de fracturation dans l'île d'Anticosti», affirme-t-il.

«Le Québec commencera par le pétrole de schiste, parce qu'il est localisé dans l'île d'Anticosti, croit M. Bernard. Il y a sûrement de nombreux endroits de l'île où il sera possible de forer sans être dans le décor de personne», poursuit-il.

Pourtant, Anticosti ne possède pas les meilleures réserves souterraines. «Les endroits les plus prometteurs sont entre le fleuve et l'A20, mais avec les terrains agricoles et la villégiature, ce n'est pas un bon endroit...», explique M. Bernard, qui évoque «le bruit phénoménal» provoqué par la fracturation et la rotation des camions.

«Il est probablement plus acceptable, d'un point de vue social, que cela se passe à Anticosti, renchérit M. Pineau. On pourra recueillir de l'information sur la technique de fracturation. Et cela pourra servir de ballon d'essai pour de futures normes. Le gouvernement québécois pourrait présenter les choses comme ça: on va s'en servir pour bien faire les choses au Québec.»

La firme Petrolia devra donc faire ses preuves, du point de vue technique, en évitant d'alimenter les inquiétudes. «Il est possible que des erreurs techniques soient commises, se traduisant par des fuites et de la pollution», prévient M. Pineau.

Mais l'exploration pétrolière d'Anticosti devra aussi répondre aux interrogations économiques quant à la viabilité de l'exploitation du pétrole et du gaz de schiste.

«Il est possible que cela ne soit pas rentable parce qu'il faudra amener des infrastructures pour sortir le pétrole d'Anticosti», souligne M. Pineau.

UN DISCOURS JOVIALISTE SUR LES GES

En visant une baisse de 25% des émissions de gaz à effet de serre en 2020 par rapport à 1990, «le gouvernement québécois tient un discours jovialiste sur la réduction des gaz à effet de serre, croit Jean-Thomas Bernard. Une grande part de notre énergie est déjà propre, explique-t-il. Le coût des nouveaux projets est très élevé. Le gouvernement essaie d'enrober cela de discours entendus depuis 30 ans sur l'effet structurant et les avantages concurrentiels. [...] Mais les objectifs sont trop hauts, notamment dans les transports. On ne développera pas une automobile québécoise alors que notre marché est une poussière au milieu du milliard d'automobiles qui circulent sur la planète.»