La révolution technologique amène une autre perspective sur la géographie. Coup d'oeil sur l'hémisphère Nord avec Pierre Marc Johnson.

Vieillissante, affaiblie, sclérosée, l'Europe?

D'un ton posé et affable, Pierre Marc Johnson, négociateur en chef pour le Québec dans le projet d'Accord économique et commercial global (AECG), plaide patiemment pour des liens plus étroits.

«Pourquoi négocier avec l'Europe alors que, dans le fond, ce qui semble plus important pour nous, c'est l'Ouest, l'Asie, peut-être même l'Amérique latine? Il y a des raisons pour ça. La texture de nos économies forme une nouvelle base.»

Car malgré quelques problèmes de santé, le Vieux Continent économique a encore de beaux jours devant lui: loin d'être cacochyme, il est secoué par un autre de ces soubresauts dont il a la coutume. «L'Europe vit une révolution sur le plan technologique», énonce l'avocat-conseil du cabinet Lavery et ancien premier ministre du Québec.

«L'ensemble de l'Europe, et surtout l'Europe de l'Ouest, vit comme nous une transformation radicale au niveau des technologies, décrit M. Johnson, au 40e étage de Place Ville Marie. L'économie n'est plus la même et ne sera jamais plus la même. Elle sera dominée par les systèmes d'information, par la transformation des matériaux, par l'économie d'énergie.»

Cette révolution lamine les anciennes castes industrielles et permet aux petites régions frondeuses de côtoyer la vieille aristocratie économique. «Ça vient neutraliser la traditionnelle analyse des avantages de situation. Pourquoi? Parce qu'on est tous en transformation.»

Risquons une analogie: le Canada, l'Europe de l'Ouest et les États-Unis, qui négocient aussi de leur côté avec l'Union européenne, formeront un nouveau continent fondé sur ces transformations. Un nouveau monde encerclant le lac Atlantique, comme les Romains autour de leur mare nostrum, la Méditerranée.

«Toute cette idée d'un univers transatlantique fait de l'Amérique du Nord et de l'Union européenne un univers à transformation très rapide, même si la croissance n'y est pas si élevée. Et c'est sur ça qu'il faut miser.»

Il est vrai que c'est un «marché mature», observe-t-il, mais «il est vrai aussi que les pays nouveaux adhérents, particulièrement ceux de l'Europe centrale, sont pour leur part en progression importante. Il y a là un terreau fertile pour exporter des produits et des services.»

Hautes technologies et canneberges

Les négociations de l'AECG se sont conclues en octobre 2013 et son contenu a été rendu public en septembre 2014.

«Le consentement a été donné sur le fond, la signature formelle va avoir lieu bientôt, et le processus de ratification va commencer», résume le négociateur en chef du Québec.

Il n'y a pas lieu d'être intimidé par le savoir-faire européen. Le Québec dispose d'avantages concurrentiels. «Notre appareil de production coûte moins cher qu'en Europe, règle générale. Quand on fait des produits qui sont en concurrence avec les produits européens, ils sont souvent moins chers. L'abolition de 99 % des tarifs va avoir des effets certains.»

Il donne l'exemple de la pellicule d'aluminium qui est laminée dans les sacs alimentaires - les sacs de croustilles, notamment. «Il y a essentiellement deux fabricants : un sur la Rive- Sud de Montréal et un autre en Espagne.» Cette pellicule était soumise à un tarif de 6,5%, qui disparaît avec l'accord. «Malgré tout, l'entreprise de Longueuil réussissait à pénétrer sur le marché européen. Eh bien, le 6,5%, c'est toute la différence au monde.»

Il mentionne encore le transport, les produits de beauté, le secteur agroalimentaire. Et les canneberges séchées. «La région de Drummondville est une région où l'industrie de la canneberge est énorme et crée des centaines d'emplois. Il y avait auparavant un tarif de 17,6% sur les canneberges, et on réussit malgré tout à en exporter un peu.»

À votre service 

Le marché des contrats publics européens représente «à peu près six fois le produit intérieur brut du Québec», rappelle M. Johnson.

Ici aussi, les entreprises québécoises jouissent d'une certaine marge concurrentielle. «Un économiste qui est engagé pour faire un contrat de consultation ici au Québec, en gros, va faire huit heures à environ 125$ de l'heure, donne-t-il en exemple. S'il va en Europe, il va faire 1000 euros par jour, au lieu de faire 1000$ par jour, ce qui fait une différence du tiers.»

Cependant, les services, et particulièrement les marchés publics, sont davantage réglementés par les instances nationales que le secteur des biens.

«La réalité, c'est que même à l'intérieur de l'Europe, ils ont de la misère à convaincre leurs membres de s'ouvrir aux autres pays qui appartiennent à la même union. On ne se fait pas trop d'illusions quant au caractère instantané de la réalisation de marchés publics en Europe.»

Le beau risque

Un accord économique ouvre les vannes dans les deux sens. Y a-t-il des risques pour les entrepreneurs du Québec? «Les marchés publics ! répond vivement Pierre Marc Johnson. C'est le gros morceau qui était recherché par les Européens, sur lequel on a fait des compromis importants.»

Cependant, il y voit davantage une ouverture qu'une menace.

«Ça favorise la concurrence, et je trouve que ça serait une bonne idée, déclare-t-il avec un sourire ironique. J'ai regardé la télé pendant un bout de temps, et il y avait une commission qui parlait des problèmes de concurrence en matière de construction: ce n'est pas mauvais, la concurrence!»

Europe, mode d'emploi

Un bon produit n'est pas nécessairement mûr pour le marché européen.

Pierre Marc Johnson résume les précautions d'usage.

«Il faut être sérieux et rigoureux. On se demande quel est le marché en Europe, quel est le volume de mon produit, qui sont les distributeurs, quelles sont les tendances à l'égard de ces produits, quel est le tarif résiduel, s'il y en a un? Est-ce qu'il y a des obstacles techniques non tarifaires? Qui peut me financer là-bas? Et enfin, avec qui puis-je être associé, notamment en matière de distribution, ce qui, quant à moi, est la clé, surtout quand on a des produits de consommation courante.»