L'entrée en vigueur imminente de l'accord de libre-échange Canada-Union européenne préoccupe plusieurs acteurs du milieu agricole et le ministre de l'Agriculture, Laurent Lessard, convient que « toute la filière agroalimentaire » québécoise devra se regrouper pour tirer avantage de l'ouverture des marchés.

« Il y a des opportunités à saisir, mais il sera important que toute la filière se parle, insiste le ministre, en entrevue à La Presse. Il faudra faire travailler ensemble les producteurs et les transformateurs, favoriser des réseautages pour préparer le terrain du côté européen. »

Pour y arriver, il prévoit créer d'ici à la fin de 2017 une « cellule » d'intervention qui verra à l'embauche de délégués commerciaux qui feront la promotion des produits de la terre.

« On a déjà des agents commerciaux aux États-Unis, à Boston, à Chicago et en Californie, notamment, ainsi qu'au Japon, pour nos produits de spécialités, fait valoir Laurent Lessard. On va faire la même chose dans notre stratégie d'exportation de nos produits bioalimentaires vers l'Europe. »

LA CANNEBERGE ET LE PORC

Le ministre affirme vouloir passer à l'action rapidement pour positionner le Québec « dans ce marché de 500 millions de consommateurs ». Il entend marteler son message en mai, à Lévis, lors d'une grande rencontre à laquelle sont conviés les principaux acteurs de l'industrie.

« Les tarifs à l'exportation vont bientôt tomber, fait-il valoir. Et il n'y a pas de raisons de ne pas en bénéficier. On pousse fort parce qu'on veut tout prendre ! »

Il cite en exemple l'entreprise Fruit d'Or, dans la canneberge, « qui est prête à exporter et qui a acheté pour 10 millions d'équipements en prévision de l'ouverture des marchés ». Il évoque également le potentiel d'exportation du géant Olymel, dans le porc.

Mais un nuage survole le paysage québécois. Le ministre concède que la hausse des quotas d'importation de fromages fins - 17 700 tonnes - en provenance d'Europe « pose un défi » pour les producteurs d'ici.

« Il y a du travail de débroussaillage à faire sur place pour hausser le volume de nos exportations agroalimentaires vers l'Europe, qui s'élèvent à seulement 375 millions, sur des ventes totales de 7,5 milliards ailleurs dans le monde. » - Laurent Lessard, ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation

UN ENVIRONNEMENT FAMILIER

Par ailleurs, le ministre de l'Agriculture - qui a remplacé Pierre Paradis, exclu du caucus libéral il y a un peu plus d'un mois - se considère comme « chanceux » de pouvoir évoluer dans un environnement qui lui est familier.

« Ça ne nuit pas d'avoir été ministre de l'Agriculture par le passé, reconnaît le député de Thetford Mines. Je connais déjà les enjeux et tous les acteurs, que ce soit dans les oeufs, le lait, le porc, la distribution, la production et la transformation. »

Il s'attend même à ce que son expérience et sa connaissance du secteur agricole « éviteront de refaire des débats inutiles ».

Inquiétude chez les producteurs agricoles

À l'exception de produits de niche, comme le sirop d'érable, le bleuet et la canneberge, le Québec agroalimentaire risque d'y « perdre au change », appréhende Charles-Félix Ross, directeur général de l'Union des producteurs agricoles.

« Il ne faut pas s'attendre à ce que nos produits se retrouvent sur les tablettes des supermarchés européens parce qu'il y a un accord commercial sur la table », prévient l'économiste.

Charles-Félix Ross se dit en outre « préoccupé » par « l'écart considérable » entre les exportations de produits agroalimentaires vers l'Europe et les importations européennes en sol québécois et canadien. « Depuis cinq ans, le déficit commercial du Québec avec l'Europe a doublé, et tout indique que l'écart continuera de se creuser, en dépit de l'accord commercial. »

Pour sa part, le professeur Maurice Doyon, du département d'économie agroalimentaire de l'Université Laval, estime que les producteurs et transformateurs québécois devront « identifier des marchés prometteurs » avant de se lancer.

Il voit néanmoins des débouchés dans le secteur des pêches. « Ça pourrait bénéficier à la Gaspésie et à la Côte-Nord, calcule-t-il, qui pourront expédier de grandes quantités de homards et de crabes des neiges aux poissonneries européennes. »

Cinq grands marchés d'exportation

États-Unis

Les États-Unis demeurent le principal marché d'exportation pour les producteurs et transformateurs québécois, avec des expéditions totalisant 5,3 milliards, principalement dans les viandes, le porc, le miel, l'érable, le sucre, les produits du chocolat.

Autres pays

La Russie, la Chine et la Corée du Sud achètent des produits québécois en très grandes quantités. À preuve : l'an dernier, les exportateurs québécois ont réalisé des ventes d'environ 1 milliard dans ces marchés, que ce soient des viandes, des produits laitiers et des préparations alimentaires. En Inde, au Chili, en Ukraine, notamment, les ventes ont atteint 200 millions.

Japon

L'appétit des Japonais pour les viandes et pour le porc est bien connu, comme en font foi les expéditions du géant Olymel. Ces deux importantes catégories contribuent à gonfler les exportations québécoises qui totalisent 430,4 millions, entre autres pour les oléagineux et les produits de l'érable.

Union européenne

Les exportations en sol européen ont poursuivi leur glissade, en 2015, avec des ventes de 375,9 millions, contre 755,4 millions, un an auparavant. Les expéditions de porc ont été marginales. Par contre, les produits de l'érable ont maintenu leur croissance.

Mexique

Les exportations de produits agroalimentaires vers le Mexique sont en nette progression ; depuis trois ans, elles sont passées de 64,4 à 97,1 millions. Le Mexique n'est pas un grand marché, mais il permet aux exportateurs de viandes, de porc et de cacao de générer de bons volumes.