Pour décrocher un contrat public, il faut désormais prouver son intégrité à l'AMF. Le processus a essuyé bien des critiques. N'empêche, les entrepreneurs en construction ne peuvent le négliger. Pour certains, il en va de leur survie.

Depuis le 15 janvier 2013, l'Autorité des marchés financiers du Québec (AMF) octroie des attestations de bonne conduite aux entreprises en vertu de la loi 1. Ce papier est obligatoire pour obtenir des contrats publics de construction ou de services de 40 millions de dollars et plus. Un refus est lourd de conséquences. «Pour certaines compagnies, les contrats publics constituent la grosse part du gâteau. Ne pas décrocher le certificat pourrait mettre en jeu leur survie», observe Stéphane Pitre, avocat associé chez Borden Ladner Gervais.

La firme de génie-conseil Dessau et son entreprise associée Verreault sont récemment tombées sous le coup de la loi 1. Sur recommandation de l'Unité permanente anticorruption (UPAC), l'AMF a refusé leur attestation. Mises au ban pendant cinq ans, ces sociétés sont inscrites sur une liste noire, le Registre des entreprises non admissibles aux contrats publics. Elles pourront demander une révision de leur dossier au bout d'une année.

«Si une compagnie échoue l'enquête de probité, c'est qu'elle a certainement des choses importantes à se reprocher, rappelle le porte-parole de l'AMF, Sylvain Théberge. Nous ne cherchons pas à nuire aux entrepreneurs, encore moins à ralentir les projets. L'objectif est de faire un ménage dans un secteur qui vit de grandes difficultés.»

Les entreprises à qui on a donné le feu vert - elles sont présentement 70 - font partie du Registre des entreprises autorisées à contracter ou sous-contracter avec un organisme public pour une période de trois ans.

Des critères objectifs et subjectifs

Le processus menant à la certification n'est pas à prendre à la légère. «L'AMF et l'UPAC scrutent à la loupe les états financiers des compagnies, ainsi que leurs dirigeants, administrateurs et principaux actionnaires», signale Stéphane Pitre.

Si le certificat est refusé pour des motifs objectifs, comme le fait d'avoir été condamné au criminel, il peut aussi l'être pour des raisons plus subjectives. «La loi va loin: l'AMF peut rejeter la demande d'autorisation d'une entreprise si celle-ci «ne satisfait pas aux exigences élevées d'intégrité auxquelles le public est en droit de s'attendre», remarque l'avocat. Cela signifie qu'on pourrait justifier un refus sur la base d'une accusation portée contre un dirigeant à l'égard d'une infraction ciblée par la loi, par exemple la fraude, la collusion ou la fixation des prix.»

En mai dernier, l'AMF a ainsi révoqué l'attestation accordée à la société LUQS quand son président et fondateur Guy Jobin a été arrêté et accusé notamment de complot pour corruption.

«Il faut être très prudent par rapport à cette disposition - et je pense que l'AMF en est consciente - car cela risque d'affecter des droits fondamentaux tels que la présomption d'innocence», estime Me Pitre.

«De simples soupçons doivent être appuyés par des éléments plus concrets pour en arriver à un refus», affirme pour sa part Sylvain Théberge.

Tous les détails comptent

Raison de plus pour livrer à l'AMF un dossier impeccable. «Les entreprises doivent remplir avec soin les formulaires et bien s'informer du déroulement du processus auprès de l'Autorité, insiste Stéphane Pitre. Une personne en position d'autorité dans l'entreprise et connaissant bien la boîte doit être en charge du dossier. Cela facilitera le processus si l'Autorité a des questions.»

L'enquête de probité nécessite une quarantaine de jours. Plus la structure de la société est complexe, plus les délais sont longs. De petites coquilles peuvent à elles seules retarder l'opération. Une adresse erronée ou un site web qui n'est pas mis à jour entraînera des vérifications supplémentaires. «C'est arrivé à quelques reprises, informe M. Théberge. Cela ne jette pas une ombre sur la compagnie, mais nous devons prendre le temps de tout examiner.»

En cas de refus, l'AMF émettra un préavis à l'entreprise qui aura alors 10 jours pour rectifier le tir. «Si les explications fournies conviennent, nous pourrons modifier la décision», dit le porte-parole de l'Autorité.

Si la réponse demeure négative, elle restera sans appel puisque c'est une décision administrative. Les entreprises peuvent toutefois porter leur cause devant les tribunaux.