Après s'être hissée au rang de fleuron de l'économie québécoise, l'industrie du génie-conseil traverse actuellement une tempête qui secoue ses fondements les plus profonds. Les enquêtes menées par l'Unité permanente anticorruption (UPAC) et les révélations faites à la commission Charbonneau ont accentué la crise qui force les ingénieurs à revoir leurs pratiques dans toutes les sphères de la profession.

«On ne se le cachera pas, la profession au complet est entachée, affirme d'emblée Daniel Lebel, président de l'Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ). Il faut toutefois savoir faire la part des choses: la compétence est là sans aucun doute, mais il y a des comportements d'affaires qui ne sont pas conformes.»

Afin de redresser la barre, l'ordre professionnel des ingénieurs québécois a instauré une batterie de mesures qui visent l'ensemble de ses 63 000 membres.

La dernière en lice: un cours obligatoire de 150 minutes sur le professionnalisme et les notions d'éthique. Une formation qui permet d'aider l'ingénieur à mieux cerner les situations problématiques auxquelles il pourrait être exposé.

«Après avoir réalisé un sondage auprès de nos membres, on a cru bon de rendre obligatoire cette formation, explique Daniel Lebel. Le cours permet de se remettre à niveau et d'aider les membres à la base en leur rappelant les concepts éthiques et déontologiques.»

Cette mesure s'ajoute à d'autres qui ont été instaurées depuis 2010 par l'Ordre, à commencer par la ligne téléphonique de dénonciation 1-877-ÉTHIQUE. En 2012, elle aura reçu près de 1000 appels, selon le président de l'OIQ. «C'est un gros volume, dit-il. Ça nous montre qu'il y avait un besoin non seulement pour nos membres, mais aussi pour le public en général.»

En plus d'instaurer la ligne téléphonique, l'OIQ a aussi augmenté la fréquence de ses inspections sur le terrain, particulièrement dans la sphère du génie civil. «On a toujours suivi de très près la pratique de nos ingénieurs, mais avec ce qu'on entend à la commission Charbonneau, on a réorienté nos inspections professionnelles, indique Daniel Lebel. On cible davantage les milieux dans lesquels se font des pratiques douteuses.»

Des centaines d'enquêtes

Grâce notamment à ces mesures, le nombre d'enquêtes menées par l'OIQ a grimpé en flèche en 2012. Elle en compte tout près de 800 en date d'aujourd'hui.

Le nombre accru d'enquêtes, qui a explosé en l'espace de quatre ans, a forcé l'Ordre à doubler l'effectif du bureau du syndic.

«Avant 2009, on recevait environ 80 demandes d'enquête par année. Depuis, on traite au-dessus de 400 demandes annuellement», explique Daniel Lebel.

Parmi les 800 enquêtes en cours, 50 ont un lien direct avec la commission Charbonneau. Désormais, l'Ordre n'évalue plus seulement la compétence professionnelle de ses membres et est amené à enquêter sur des dossiers dont la nature a bien changé.

«On n'a jamais fait face à une situation telle que celle-là, explique le président de l'Ordre. Près de 50% de nos demandes d'enquête sont directement en lien avec des affaires de corruption, de collusion, de financement de partis politiques, de fraude, de vol ou de conflit d'intérêts.»

Selon lui, l'OIQ ne pouvait répondre seul aux allégations qui entachent principalement le milieu du génie conseil. «La situation était rendue à un point tel qu'il fallait lancer une commission, souligne-t-il. Pour nous, c'est un passage obligé: il faut faire la lumière sur la situation, comprendre les stratagèmes et amener des solutions concrètes sur l'octroi, la gestion et la surveillance des travaux.»

Au terme des travaux de la commission Charbonneau, Daniel Lebel s'attend à ce que le monde du génie québécois sorte grandi de l'expérience. «À court terme, notre réputation en mange un coup, dit-il, mais nous sommes convaincus qu'on va regagner la confiance du public.»