Il y a maintenant une bonne douzaine d'années que le marché canadien de l'habitation est en expansion, si on exclut les reculs, somme toute modestes, provoqués par la récession de 2009.

En profitant de taux d'intérêt historiquement faibles, les Canadiens sont devenus de plus en plus des propriétaires, au prix d'un endettement élevé qui représente désormais le risque interne le plus important pour la croissance, aux yeux de la Banque du Canada.

Le taux d'endettement des ménages correspond à 150,6% du revenu disponible des ménages.

Les perspectives que les taux d'intérêt demeurent faibles encore plusieurs mois laissent craindre que les 160% seront atteints d'ici quelques trimestres. C'est à ce niveau que les marchés américain et britannique de l'habitation se sont effondrés, avec les conséquences que l'on sait.

La Banque du Canada a beau multiplier les avertissements, elle peut difficilement infléchir les taux obligataires d'une échéance de cinq ans qui correspond aux prêts hypothécaires les plus courants.

C'est le marché obligataire qui dicte les taux. Or, depuis plusieurs mois, les étrangers sont friands de dette canadienne, l'une des rarissimes marquées du sceau de qualité triple A par toutes les grandes agences de notation de crédit.

L'an dernier, ils ont acheté l'équivalent de toute la nouvelle dette émise par Ottawa. Selon Sheryl King, économiste principale chez Merrill Lynch Canada, cela a fait reculer les taux d'intérêt obligataires d'environ 100 centièmes pour l'échéance de 10 ans, d'un peu moins cependant pour celle de 5 ans.

Contrer ce mouvement supposerait une escalade insensée du taux directeur de la Banque du Canada.

Les placements étrangers dans la dette canadienne sont toutefois très volatils. Vite arrivés, ils peuvent repartir en l'espace d'un trimestre ou deux si, par exemple, les incertitudes à l'échelle mondiale se dissipaient de manière convaincante, comme certains pensent que c'est désormais le cas.

Dès lors, les taux obligataires augmenteraient et le dollar canadien faiblirait, tout comme notre pouvoir d'achat. Bien des ménages risqueraient de crouler sous le poids de leurs dettes.

Voilà pourquoi la surintendante des institutions financières, Julie Dickson, a lancé il y a quelques jours une vaste consultation dans laquelle elle demande aux banques de durcir leurs conditions d'octroi de prêts. Elles devront mener des enquêtes plus approfondies sur la situation financière de leurs clients potentiels et sur la valeur réelle de la propriété qu'ils comptent acquérir. La consultation prendra fin en mai.

De son côté, le ministre des Finances Jim Flaherty a déjà averti la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) qu'il n'autoriserait pas de relèvement du plafond de la valeur de ses garanties de prêts. Celle-ci est passée de 350 à 450 milliards en 2007, puis à 600 milliards.

Présentement, la valeur des garanties octroyées dépasse les 500 milliards. Le plafond de 600 milliards sera atteint dans quatre ans, selon les projections de la SCHL. La cible de 2016 exigera sans doute l'adoption de nouvelles restrictions aux garanties de prêts.

Ainsi, la mise initiale de 5% pourrait être rehaussée pour l'achat d'une résidence, tout comme celle de 20% pour un investissement immobilier. La période d'amortissement maximum de 30 ans pourrait être ramenée à 25 ans. Cela augmenterait les mensualités presque autant qu'une hausse d'un point de pourcentage des taux d'intérêt.

Tout cela aurait pour effet d'éliminer des acheteurs et d'en inciter d'autres à des achats plus modestes.

Fixe ou variable

À tous ces chambardements possibles, il faut ajouter que l'axiome voulant qu'il vaille mieux jouer le marché et choisir une hypothèque à taux variable a peut-être du plomb dans l'aile.

Le taux variable actuel se situe à 4% alors que les institutions financières se lancent dans une coûteuse guerre de taux sur les échéances fixes.

Le taux variable évolue en fonction du taux directeur de la Banque du Canada, qui doit maîtriser l'inflation. Or, celle-ci est un peu plus tenace que ce à quoi s'attendaient les autorités monétaires. Le coût d'une hypothèque à taux variable est donc appelé à monter d'ici deux ans.

Depuis l'automne dernier, les taux sur les obligations canadiennes ont repris un mouvement haussier. Il en coûtera bientôt davantage aux banques pour financer leurs prêts, ce qui va pousser aussi les taux hypothécaires à la hausse, surtout pour les termes de cinq ans et plus.

«Un faible taux, jumelé avec une période d'amortissement ramenée à 25 ans, renforce la stabilité financière d'un emprunteur de manière significative», rappelle Douglas Porter, économiste en chef désigné chez BMO Marchés des capitaux.

Présentement, certaines institutions offrent des hypothèques de quatre ou cinq ans à un taux de 2,99%, sur un prêt amorti durant 25 ans.

Comme le taux d'inflation est de 3,2% au Québec, il s'agit d'un coût de financement réel négatif. Peut-on demander mieux?

Mais pareille aubaine, tout comme plaisir d'amour, ne dure qu'un moment...