Seul le temps sanctionne les grandes innovations. Mais toutes ont d'abord été de simples projets. Quel avenir nous préparent nos entreprises ? Une série en six parutions. À surveiller la dernière parution, la semaine prochaine: l'énergie.

Avant le 3TC les personnes atteintes du sida avaient une espérance de vie ne dépassant pas 10 ans, dans le meilleur des cas.

Depuis sa découverte, en combinaison avec une ou deux autres molécules thérapeutiques, le 3TC halte la progression du virus et allonge considérablement la durée de vie des malades.

Le 3TC commence sa vie à l'Institut Armand-Frappier à Laval vers 1988. Il est le fruit des recherches du docteur Bernard Belleau.

Non seulement a-t-il été découvert au Québec, mais c'est un autre chercheur québécois, Mark Weinberg, qui va en démontrer l'efficacité hors de tout doute.

En 1993 au congrès mondial sur le sida, le 3TC a commencé sa vie publique. Mark Weinberg décrivait alors ainsi l'activité du 3TC: «Le rétrovirus du sida est un petit malin. Chaque fois qu'un médicament approche de l'efficacité, le virus mute, se dérobant à nos efforts. Mais avec 3TC, la cible visée est cruciale pour l'activité de base du virus. Si cette cible mute, c'est comme si le virus se suicidait. Je crois que nous le tenons.»

Le docteur Weinberg avait raison. Le médicament fut approuvé en 1995 par les autorités réglementaires.

Le 3TC inhibe si bien les mécanismes intimes et essentiels du virus du sida qu'il est aujourd'hui le médicament antisida le plus prescrit au monde. Il est la clé de voute de la trithérapie.

Fondamentalement, le 3TC bloque une partie du mécanisme permettant au code génétique du virus de s'intégrer à celui de l'humain infecté. Le virus est toujours là, mais en chômage. En prime, le 3TC est efficace pour lutter contre un autre rétrovirus, celui de l'hépatite B, par le même mécanisme.

Stimuler l'hormone de croissance naturellement

Quand notre hormone de croissance (IGF1 dans le jargon des scientifiques) tombe en panne, divers malheurs surviennent: arrêt ou déficience de la croissance chez les jeunes, fonte de la masse musculaire chez les personnes âgées, etc. On peut compenser par des apports massifs d'analogues de l'hormone, mais les effets secondaires sont très lourds.

La biotech québécoise Theratechnologies a contourné le problème. «Nous avons créé un analogue du facteur qui stimule naturellement la glande pituitaire et l'induit à produire IGF1 à des niveaux parfaitement normaux.» Donc, aucune toxicité.

Sous le nom de Tesamorelin, cet analogue est en marché depuis quelques mois aux États-Unis et le sera l'an prochain en Europe. On s'en sert pour contrer l'apparition de graisse abdominale induite par les médicaments antisida. D'autres indications devraient suivre dans les prochaines années.

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1628: Harvey démontre la circulation sanguine

1673: Leeuwenhoek fabrique le microscope

1796: Jenner pratique la première inoculation

1816: Laennec invente le stéthoscope

1882: Kock isole le bacille de la tuberculose

1885: Pasteur trouve le vaccin contre la rage

1896: Kossel identifie les premières protéines cellulaires

1921: Banting, Best et MacLeod découvrent l'insuline

1924: Spemann élucide le développement embryonnaire

1928: Fleming trouve la pénicilline

1951: Watson et Crick démontrent la double hélice de l'ADN

1958: Monod, Lwoff et Jacob inaugurent le génie génétique

1958: Dausset trouve le complexe d'immunité humaine

1980: Nüsslein-Volhard explique la génétique du développement embryonnaire

Dans quelques années, la chimio téléguidée

La chimio, on le sait, c'est dur pour le système. On se prend à souhaiter une chimio qui ne s'attaquerait qu'aux foyers cancéreux et laisserait nos cellules saines tranquilles. Pas demain la veille? C'est à voir.

Sylvain Martel dirige le labo de nanorobotique à l'École polytechnique de Montréal. Il a inventé, avec son équipe, la pilule téléguidée qu'on envoie directement dans la tumeur. «On a pensé à ça en 2002 et on nous a traités de fous.» On parle moins fort depuis.

La «pilule» est une nanosphère de fer et cobalt recouverte de graphite, pour résister au milieu physiologique. On y place le médicament et on la guide avec un champ magnétique. On a ainsi réussi à faire circuler ce nanorobot dans divers animaux vivants. Sylvain Martel croit que des interventions sur les humains se feront dans quelques années.

Photo École polytechnique de Montréal

Des vaccins à base de tabac

Medicago, une société de Québec, est capable de convaincre un plant de tabac de produire des bouts de protéines qu'elle utilise ensuite pour en faire des vaccins. L'entreprise induit cette production massive chez des plantes adultes et obtient la base du vaccin en seulement deux semaines.

Le tout se fait grâce à deux innovations audacieuses. La première est une «cassette d'expression» qu'on introduit dans les plants et qui les fait produire, pour quelques jours, la protéine désirée. La seconde est un faux virus, microscopique capsule de matériel biologique. Les protéines jumelles de celles du virus sont placées sur la capsule et voilà le vaccin.

«Nous démarrons la production aux États-Unis au milieu 2012, confirme Pierre Labbé, chef de la direction financière de Medicago. On nous a commandé 10 millions de doses pour commencer.» On est prié de ne pas fumer son vaccin.

Contre la vache folle, le filtre à prions

La maladie de Creutzfeldt-Jakob ou maladie de la vache folle est une dégénérescence fatale du système nerveux. C'est une maladie infectieuse, mais qui ne dépend ni d'un virus ni d'une bactérie. Elle est causée par un prion, une protéine biscornue. Et comme elle prend des années à se développer, le porteur, se croyant sain, va la transmettre en faisant don de son sang.

Que faire? Inventer le filtre à prions! C'est ce qu'a fait la biotech québécoise Prometic. « Nous avons une technologie qui nous permet d'inventer des sortes d'aimants à protéines, explique Pierre Laurin, président de Prometic. Nous pouvons produire des aimants pour à peu près n'importe quelle protéine, prions compris. »

Après le don de sang, l'échantillon est mis en présence de cet aimant moléculaire et adieu prions. La transfusion peut se faire en toute sécurité. La procédure est adoptée en Grande-Bretagne et vient d'être approuvée dans le reste de l'Europe.

Photo Prometic

Voir la schizophrénie droit dans les yeux

Si un patient a une prédisposition génétique à la schizophrénie ou à la maladie bipolaire, le docteur Michel Maziade peut le voir dans ses yeux. C'est que le titulaire de la Chaire du Canada en génétique des troubles neuropsychiatriques, à l'Université Laval, a eu une idée brillante.

Le docteur Maziade s'est dit, avec ses collègues Marc Hébert et Chantal Mérette, que la rétine, le fond de l'oeil, est partie prenante du système nerveux central. «Si la schizophrénie est une maladie du cerveau, d'origine génétique, se pourrait-il que les neurones du fond de l'oeil soient affectés aussi?», se sont demandé le docteur Maziade et son équipe.

Oui! Quand on stimule les neurones de la rétine des personnes schizophrènes, la réponse à ce stimulus est moindre que chez les personnes en santé. Voilà une méthode diagnostique permettant de déceler la prédisposition à la maladie avant même que les symptômes n'apparaissent.

Photo Université Laval

Photographier l'adolescence une cellule musculaire

Quand une bête cellule souche mûrit et devient, disons, une cellule musculaire ou une de ces cellules qui sécrètent l'insuline, il lui arrive toutes sortes de choses. La différentiation ou spécialisation cellulaire est un événement fort complexe. Quand cette adolescence cellulaire se passe mal, nous sommes malades, et pour la vie. Des scientifiques de McGill élucident les détails de cette étape cruciale.

Rob Sladek, médecin et chercheur, et Haig Djambazian, ingénieur et chercheur, ont mis au point un système d'imagerie qui documente le passage mouvementé de l'enfance cellulaire à la vie adulte. « Nous pouvons suivre une seule cellule à la trace et obtenir des milliers d'images en quelques heures. Et nous détectons les interactions entre les gènes qui orchestrent la spécialisation cellulaire », explique le docteur Sladek.

Ces travaux, publiés l'an dernier, reposent sur un puissant algorithme informatique sans lequel les images se perdraient dans le flou.

Photo Université McGill