Il y 30 ans, on menait les grands projets sans se soucier des communautés affectées. Aujourd'hui, les citoyens n'hésitent plus à se faire entendre, ce qui force les ingénieurs-conseils à devenir de meilleurs communicateurs.

Rendre un projet acceptable socialement est «incontournable» pour les firmes de génie-conseil, estime Johanne Desrochers.

«La bonne gestion des aspects sociaux joue un rôle important dans le succès des grands projets et, à l'inverse, une mauvaise gestion peut en compromettre la réalisation», affirme la présidente-directrice générale de l'Association des ingénieurs-conseils du Québec.

Il fut un temps où l'acceptabilité sociale était le cadet des soucis des promoteurs. «Il y a 20 ans, les clients travaillaient en vase clos. Résultat: de mauvaises surprises attendaient les ingénieurs-conseils au moment des consultations du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement, parce que les clients n'avaient pas tenu compte les préoccupations des citoyens», se rappelle Jacqueline Roy, vice-présidente principale du secteur environnement du groupe-conseil Roche.

Il en va tout autrement aujourd'hui. «Tout projet s'accompagne d'une grande charge émotive pour les groupes concernés, témoigne Jacques Thivierge, vice-président aux communications de Roche. Que ce soit pour l'implantation d'une piste cyclable ou la fermeture d'une mine, nous devons répondre à leurs inquiétudes et la seule façon de le faire est d'instaurer le dialogue et le maintenir.»

Travailler en amont

Si les ingénieurs-conseils intègrent de plus en plus l'acceptabilité sociale à leur pratique, il reste tout de même place à l'amélioration. «Les préoccupations des gens évoluent plus vite que les efforts pour s'y adapter. On investit, mais il faut faire davantage», observe Bernard Motulsky, titulaire de la Chaire de relations publiques et communication marketing de l'UQAM.

Une solution: travailler en amont. «Même avec le meilleur concept, la réalisation d'un grand projet entraîne toujours des impacts sociaux qui sont parfois difficiles à prévoir», remarque Johanne Desrochers.

À cet égard, la firme de génie-conseil Genivar a bien fait ses devoirs lors de la réhabilitation de Mines Gaspé à Murdochville. «Les citoyens craignaient de voir la ville dépérir davantage, se rappelle Carl Gauthier, directeur de l'unité Génie de l'environnement pour l'est du Québec chez Genivar. D'autres s'en faisaient pour leur santé. La société minière Xstrata Cuivre Canada et nous-mêmes étions très sensibles à ce contexte et savions qu'une bonne partie du succès de la réhabilitation reposait sur l'acceptabilité sociale de nos propositions.»

Bien avant le début des travaux, Genivar et son client ont organisé plusieurs journées portes ouvertes où les spécialistes prenaient le temps de s'asseoir avec chaque personne qui s'y présentait.

Ils ont aussi rencontré individuellement les 855 propriétaires chez qui l'on décontaminerait les sols.

Tout au long des travaux, un bulletin d'information était publié régulièrement. Les citoyens pouvaient garder un contact permanent grâce à un numéro sans frais. «La grande majorité d'entre eux ont été très satisfaits», soumet M. Gauthier.

Selon Bernard Motulsky, l'acceptabilité sociale se joue à deux niveaux. «Il faut savoir expliquer ce que l'on fait pour que le projet soit accepté et il faut avoir l'ouverture nécessaire pour modifier le projet afin de le rendre acceptable.»

Le premier point donne du fil à retordre aux ingénieurs-conseils.

«En tant que scientifiques, on ne se rend pas toujours compte de la complexité de notre message», reconnaît Carl Gauthier. C'est pourquoi les firmes n'hésitent pas à faire appel à des boîtes de communications.

Des compromis

Quant au deuxième point, il nécessite des compromis de part et d'autre. «On fait de notre mieux, mais on ne peut plaire à tout le monde», souligne Jacqueline Roy, qui n'a pu donner d'exemples de projets menés par sa firme pour cause de confidentialité.

«Il y a des normes de santé et de sécurité à respecter. Et dans le cas des projets privés, on doit aussi se soucier de la rentabilité.»

Elle précise qu'il est primordial de rencontrer de nouveau la population pour expliquer les raisons derrière un refus.

Tous s'entendent pour dire que l'acceptabilité sociale est un excellent investissement. «Cela permet des économies de coûts sur le cycle de vie d'un projet», souligne Johanne Desrochers.

En fin de compte, le projet n'en sera que meilleur, conclut Bernard Motulsky. «Si vous travaillez seul, vous avez avantage à trouver d'autres points de vue. C'est plus fatigant, ça coûte plus cher au départ, mais le résultat sera souvent bonifié. Les firmes doivent saisir cette occasion et non la voir comme un désagrément.