Mondialisation oblige, les grands cabinets d'avocats doivent désormais faire comme les autres entreprises: exporter leurs services. Une longue bataille qui ne fait que commencer.

Follow the money. Cette phrase, rendue célèbre dans le milieu du journalisme au début des années 70 avec le scandale du Watergate, est devenue le leitmotiv d'une autre catégorie de professionnels: les avocats. C'est en tout cas ce qui se profile depuis quelques années alors que de plus en plus de juristes se sont mis à suivre presque pas à pas les mouvements des capitaux internationaux. Ils bougent, se déplacent et cherchent à exporter leurs services juridiques là où il y a de l'argent, c'est-à-dire à l'étranger.

«Les clients s'internationalisent; on doit les suivre si on veut bien les servir», dit l'associé Luc Lissoir, du cabinet pancanadien Gowlings, qui compte des bureaux à Londres et à Moscou.

Le commerce international ne date pas d'hier, mais ce n'est que récemment que les firmes d'avocats ont elles aussi entrepris de s'internationaliser. Le mouvement a commencé il y a une dizaine d'années avec une percée des grands cabinets de Londres et de New York, qui se sont installés dans les plus grandes capitales du monde, en ouvrant de nouveaux bureaux ou, surtout, en fusionnant avec des joueurs locaux.

Si bien qu'aujourd'hui, de véritables multinationales du droit dominent le marché mondial des services juridiques. Des géants comme l'américain Baker&McKenzie, qui compte 3750 avocats dans 40 pays, ou le britannique Clifford Chance, avec ses 3200 avocats dans une vingtaine de pays, engrangent des revenus annuels de plus de 2 milliards de dollars US. Une dizaine de cabinets sont pour le moment dans cette catégorie, mais la course à la consolidation mondiale ne fait que commencer.

«Dans 5 ans, une vingtaine de firmes domineront le monde», prédit Peter Martyr, grand patron du cabinet britannique Norton Rose, en mode croissance internationale depuis quelques années. En 2 ans, ce cabinet, présent dans 38 bureaux dans le monde, est passé de 1130 à 2500 avocats en fusionnant avec des cabinets étrangers, notamment avec le canadien Ogilvy Renault qui rejoindra officiellement le groupe le 1er juin.

Les cabinets canadiens bougent... moins rapidement

Au Canada, les grands cabinets ont aussi noté que le monde a rapetissé et que l'argent n'a non seulement pas d'odeur, mais pas de frontières. Sauf que, contrairement à leurs concurrents américains et britanniques, aucun n'a encore choisi la voie de l'internationalisation tous azimuts. On y va plutôt à tâtons, avec la prudence qui caractérise habituellement les façons de faire à la canadienne.

Tout de même, certains ont récemment osé des percées, comme Fasken Martineau, qui a ouvert deux bureaux étrangers en moins de cinq ans, à Londres et à Paris, ou Heenan Blaikie, qui vient d'en ouvrir un à Paris avec une quinzaine d'avocats. Le pancanadien Blakes a choisi la région du golfe Persique, pour lancer en 2009 deux bureaux, l'un à Manama, capitale de Bahreïn, l'autre à Al-Khobar, en Arabie Saoudite. À l'automne, Gowlings ouvrira un bureau à Pékin avec trois avocats.

Plusieurs raisons expliquent ces initiatives modestes des cabinets canadiens en matière d'expansion internationale. D'une part, s'installer à l'étranger coûte cher, d'autre part, la concurrence est féroce; le risque de s'y casser la figure est grand. Mais surtout, la plupart des cabinets estiment pouvoir servir leurs clients à partir du Canada. Il faut dire que la majeure partie de leurs mandats internationaux provient encore de clients canadiens qui investissent à l'étranger, ou d'étrangers qui investissent au Canada; dans ces circonstances, exploiter un bureau en Europe ou en Asie est presque superflu.

Il n'empêche qu'à moyen terme, les avocats canadiens n'auront sans doute pas le choix. Car l'appétit des grandes firmes internationales est grand et elles n'hésiteront pas à venir au Canada jouer dans leurs plates-bandes. D'autant plus que leurs clients assoiffés de ressources ont le Canada dans leur ligne de mire. Déjà, le mois dernier, on apprenait que le cabinet britannique Clyde&Co s'intéressait de près à un cabinet d'avocats canadien.

Au même moment, l'américain DLA Piper confirmait être en discussions avec quelques cabinets d'ici pour une éventuelle fusion. DLA Piper, pour ceux qui l'ignoreraient, deviendra en mai prochain, avec ses 4100 avocats, le plus grand cabinet du monde...