Ils n'ont pas voulu révéler leurs chiffres précis, mais il est question de quelques millions de dollars par année. Voilà ce que le Pew Environment Group, un organisme américain, dépense chaque année au Canada pour amener les gouvernements, les entreprises, les communautés autochtones et les groupes environnementaux à travailler ensemble pour protéger la forêt boréale.

Initiative boréale canadienne (IBC), un organisme fondé par le Pew Environment Group, est particulièrement actif au Québec alors que le gouvernement s'est engagé à soustraire au développement au moins 50% du territoire visé par le Plan Nord et à développer l'autre 50% de façon durable. Une lobbyiste a même été embauchée pour faire entendre le point de vue de l'organisme auprès du gouvernement. Suzanne Méthot, directrice régionale pour le Québec chez IBC, a récemment été nommée coprésidente du groupe de travail sur le développement durable créé par le gouvernement du Québec dans le cadre des travaux pour le Plan Nord.

N'est-ce pas un peu gênant pour les Québécois que cette grande campagne ait été mise sur pied par les Américains?

«Je ne dirais pas que c'est gênant, indique Mme Méthot. Les États-Unis et le Canada anglais ont toujours eu plus de moyens que le Québec pour ce genre de campagne. Dans la culture anglophone, les gens donnent beaucoup plus à des fondations et à des organismes de charité. Aussi, c'est bien évident que lorsqu'on regarde la nature dans son ensemble, il n'y a pas de frontière.»

Mais pourquoi un organisme américain investit-il autant de temps et d'argent ici?

Le choix du Canada n'est pas le fruit du hasard, selon Mathew Jacobson, responsable au Québec de la campagne internationale pour la conservation boréale au Pew Environment Group.

«Nous avons fait une étude, il y a dix ans, pour identifier les forêts intactes les plus importantes dans le monde et la forêt boréale canadienne s'est classée dans notre top trois. Les autres étaient au Brésil et en Russie. Nous avons finalement choisi d'investir au Canada parce que nous avons évalué que c'était l'endroit où les gouvernements et les citoyens avaient le plus de chance de travailler ensemble sur le long terme pour protéger la forêt boréale.»

Un défi de taille

Avec toutes les personnes et organisations impliquées dans la démarche, ayant chacune des intérêts différents, les défis à relever sont de taille.

«C'est certain que le projet est ambitieux, mais la campagne suscite beaucoup d'intérêt. En plus de la valeur environnementale du projet, si le gouvernement du Québec a pris ces engagements, c'est qu'il croit que ce serait bon notamment pour sa réputation dans le monde. Les compagnies croient pour leur part que ce sera bon pour leurs affaires», indique M. Jacobson.

Tout n'est pas rose pour autant. Lorsque vient le temps de parler d'aires à protéger, des tensions se font déjà sentir particulièrement lorsqu'il est question du Sud du territoire.

«Certains secteurs semblent être à la fois particulièrement importants pour la protection de la faune et pour les coupes forestières. Ce sera un grand défi d'arriver à s'entendre. C'est la même chose avec le développement hydroélectrique. Le réchauffement climatique nous inquiète et nous savons que l'hydroélectricité produit moins de gaz à effet de serre que l'énergie fossile, mais en même temps, si on permet la construction de barrages sur les rivières qui reste, ce ne sera pas bon pour la biodiversité», explique M. Jacobson.

Il est convaincu que plutôt que de rester chacun sur ses positions, il est temps de travailler ensemble pour essayer de trouver des solutions. On peut toutefois s'attendre à de nombreuses années de négociations.

«C'est certain que ça prendra du temps, mais le territoire en question est tellement gros qu'il faut y aller avec précaution, ajoute-t-il. Mieux vaut y aller tranquillement et correctement plutôt que de risquer de se tromper.»

Si le PEW Environment Group investit autant de temps et d'argent dans ce projet au Québec, c'est qu'en réalité, il ne s'accorde pas le droit d'échouer.

«Le Québec a adopté l'approche la plus ambitieuse au Canada par rapport à la protection de la forêt boréale, estime Mathew Jacobson. J'irais même jusqu'à dire dans le monde. Si c'est un succès, le Québec servira d'exemple partout. Tout le monde voudra faire la même chose. Si c'est un échec, plus personne ne voudra se lancer dans quelque chose de semblable.»