Pour bien développer sa relève, il faut évaluer toutes les situations. Ce quatrième texte, d'une série de six, porte sur la passation des pouvoirs au fil des générations.

La semaine dernière, Michel Lasnier et son fils Marc-Antoine sont passés chez le notaire. Pour cette première étape vers une passation complète des pouvoirs, le président de la PME Les Vergers de la colline vient de vendre 25% de ses parts à son fiston.

Chez les Lasnier, le processus de relève a été enclenché il y a presque 15 ans. Cette famille de Sainte-Cécile-de-Milton en est maintenant à la quatrième génération dans le domaine de la pomiculture.

Les Vergers de la colline est cet immense domaine de 125 acres (parmi les 10 grands du Québec) en bordure de la route 137 entre Granby et Saint-Hyacinthe.

L'endroit est connu pour son autocueillette, mais également pour sa boutique où l'on mitonne et vend différents produits du terroir: pâtés, tartes, muffins, cretons, fèves au lard, confitures, etc.

Mais c'est surtout grâce à sa dizaine de produits liquides (alcoolisés ou non) que la PME commence à faire parler d'elle un peu partout au Québec.

D'ailleurs, le printemps dernier à Rougemont, lors de la troisième présentation du Mondial du cidre de glace SAQ, Les Vergers de la colline a remporté une médaille d'argent pour son cidre de glace Le Glacé.

Marc-Antoine Lasnier produit trois cidres de glace différents, une mistelle (mélange de moût de pomme et d'alcool), quatre cidres (dont un mousseux), de même que deux moûts de pomme sans alcool.

La passation des pouvoirs se fait de façon harmonieuse chez les Lasnier. Leur secret: chacun vaque à ses occupations. Marc-André s'occupe de la production des liquides. Sa mère Josée est responsable de la boutique et de la production des mets cuisinés. Et son père Michel est responsable de la culture des pommes.

Le paternel est également courtier en pommes et vend sa production à des emballeurs.

Depuis la semaine dernière, Michel, Josée et Marc-Antoine Lasnier possèdent respectivement 50%, 25% et 25% des actions de la PME Les Vergers de la colline, laquelle s'apprête à multiplier par sept la grandeur de ses installations.

La boutique, les cuisines et l'espace de productions des liquides seront notamment agrandis.

Pas facile l'agriculture

Aléas de la météo, augmentation des coûts de production, normes environnementales, mondialisation des marchés, etc. De nos jours, choisir la voie de l'agriculture peut être très exigeant et parfois même casse-gueule. Ce qui explique pourquoi Michel Lasnier, 55 ans, n'a jamais forcé la main de son fils Marc-Antoine, 31 ans.

«Mon père m'a laissé décider par moi-même. Comme j'ai toujours voulu être mon propre patron, je me suis manifesté en 1996 (à 17 ans), le jour où son partenaire d'affaires a décidé de se retirer. J'ai tout de suite lâché mes études en génie pour m'inscrire en gestion agricole», explique le jeune cidriculteur.

Dès lors, la phrase «quand je ne serai plus là, tu devras faire ceci», prononcée à maintes reprises par Michel Lasnier à son fils, a pris une toute autre signification.

«Si Marc-Antoine n'avait pas choisi de prendre un jour la relève, j'aurais cessé d'investir dans l'entreprise, car je n'aurais jamais récupéré l'argent investi. Là, c'est différent», affirme Michel Lasnier.

Dans un domaine comme l'agriculture, où il faut à la fois être spécialisé dans une production donnée, mais aussi s'y connaître en gestion, en mécanique, en construction, bref, avoir tous les talents, la transmission du savoir n'est pas à prendre à la légère. Et c'est là que la dualité ou la complicité père-fils peut faire toute la différence.

À sa sortie du cégep, Marc-Antoine était gonflé à bloc.

Selon lui, la PME familiale ne devait plus uniquement miser sur la vente de pommes au kiosque, mais élargir sa gamme de produits. Il s'est donc lancé dans la culture de melons, de pruniers, etc.

«Il croyait avoir raison. Je lui ai même acheté de quoi labourer les champs. Après une journée, tout l'équipement était brisé. Quand le ton monte entre nous deux, je n'ai qu'à lui dire «melons» et il comprend le message», dit en riant Michel Lasnier devant son fils qui rougit avant de pouffer de rire lui aussi.

Michel Lasnier entend demeurer présent dans l'entreprise «jusqu'à 75 ans», dit-il. Une aubaine pour Marc-Antoine, qui pourra poursuivre son apprentissage.

Mais le jeune cidriculteur, qui a des visées nord-américaines, pourra également compter sur son paternel pour l'approvisionner en matière première.

Des outils pour les nouveaux agriculteurs

La Financière agricole du Québec (FADQ) n'est pas seulement qu'un assureur. L'organisme paragouvernemental qui compense les pertes des exploitants fait parler de lui ces temps-ci parce qu'il veut resserrer ses règles de couverture afin de résorber ses propres manques à gagner. Mais la FADQ, c'est aussi un outil de soutien à la relève.

Et qui dit relève, ne dit pas nécessairement rachat d'une entreprise existante. «Pour nous, la relève, c'est aussi quelqu'un qui démarre une nouvelle entreprise dans le secteur agricole», explique Yvon Caron, directeur régional du bureau de Granby de la Financière agricole du Québec.

Selon lui, il existe une poignée de programmes très intéressants pour la relève. Par exemple, le Programme d'aide à l'établissement est une subvention offerte aux nouveaux agriculteurs qui s'établissent à plein temps. Selon la nature des études complétées (administration générale ou gestion agricole), la subvention varie entre 20 000 et 40 000$. Cet argent doit être investi dans l'entreprise. Chaque postulant a droit à cette subvention une seule fois.

Selon Yvon Caron, il s'agit du programme «le plus généreux» de la FADQ. En 2008-2009, dit-il, environ 375 jeunes (de 18 à 40 ans) ont profité du Programme d'aide à l'établissement, pour un total de 10,3 millions.

Il existe également la Subvention au démarrage. D'une valeur de 10 000$, cette subvention s'adresse aux gens qui fondent une entreprise agricole, mais qui doivent pratiquer un autre métier pour joindre les deux bouts. L'an passé, près de 95 jeunes ont eu droit à cette aide de la FADQ.

Une relève mieux préparée

La relève agricole se porte-t-elle bien au Québec? «Il est difficile de généraliser, mais disons qu'elle est beaucoup mieux outillée qu'avant», explique Ernest Desrosiers, vice-président au financement à la Financière agricole du Québec.

Exploiter une entreprise agricole n'a jamais été aussi exigeant, dit-il. «Il faut connaître les enjeux comme les règles de commerce international, les normes environnementales, les nouvelles technologies. Les différentes formations permettent aux jeunes d'être au fait de ces réalités, ce qui n'était pas le cas il y a 20 ans», explique-t-il.

Mais au-delà des connaissances sur le terrain, quiconque se lance en agriculture doit impérativement s'entourer, prévient M. Desrosiers.

«Retourner à l'école est une façon de créer des liens. Appartenir à des associations ou à des regroupements agricoles permet aussi d'échanger avec d'autres agriculteurs. Il faut à tout prix briser l'isolement», dit-il.

Quant à la question du financement, un autre enjeu de taille, le gouvernement et les institutions financières s'y intéressent de plus en plus, croit Ernest Desrosiers.

La création d'un fonds de 75 millions, dont 25 millions viendront du gouvernement du Québec, a été annoncée lors du dernier budget.