À l'aube de ses 15 ans, Fourmi bionique est maintenant prête à jouer dans la cour des grands. Grâce à d'importants investissements dans son usine et à une nouvelle stratégie linguistique, la PME montréalaise dit avoir tout ce qu'il faut pour vendre ses granolas haut de gamme à Walmart et Costco, même si ça joue du coude comme jamais sur les tablettes.

Dans quelques semaines, Geneviève Gagnon mettra au monde son troisième enfant en quatre ans et demi. Un projet parmi beaucoup d'autres pour celle qui carbure à l'innovation.

« Je n'ai pas le choix, car dans ma catégorie des granolas en sac, c'est super dynamique. [...] Cette année, ça a explosé. Nature's Path sort plein de produits, Kellogg's, Nature Valley [General Mills], Kashi... Dans les céréales traditionnelles, la croissance est nulle ou c'est en déclin. Mais dans le bio et santé, ça augmente dans les deux chiffres. » Une tendance dont les multinationales veulent profiter.

Au départ, ce n'était pas bien compliqué pour Fourmi bionique de se démarquer. « J'étais la seule à vendre du granola en sac ! Tout le monde me disait qu'il me fallait une boîte. Mais j'ai créé une nouvelle catégorie », raconte l'entrepreneure de 43 ans dans son usine de la rue Saint-Patrick.

À quelques pas de nous, une quinzaine d'employés s'affairent à cuire de petits lots d'avoine et à y mélanger d'autres ingrédients, pour la majorité bio. Il fait chaud, et on ne chôme pas car la croissance est au rendez-vous.

D'ailleurs, depuis cinq ans, les ventes de Fourmi bionique ont bondi de 78 %. Une performance plus qu'honorable qui a permis à la PME d'être incluse, la semaine dernière, dans le classement des 500 entreprises canadiennes à plus forte croissance de Canadian Business. Geneviève Gagnon, qui s'attendait à être en queue de peloton, est ravie de son 494e rang.

« Les cinq dernières années n'ont pas été les plus faciles puisque j'ai fait grandir ma famille en même temps que j'ai fait grandir ma compagnie. »

« Je n'étais pas personnellement impressionnée par ma propre croissance des dernières années puisque je n'ai pas pu m'investir autant qu'avant dans la Fourmi. Alors cette reconnaissance est comme une tape sur le dos qui m'encourage pour la suite. » - Geneviève Gagnon, propriétaire de Fourmi bionique

CERTIFICATION ESSENTIELLE POUR CROÎTRE

Quand on rêve de croissance, l'apothéose est d'entrer dans les Costco et les Walmart du Canada et des États-Unis. Mais proposer des recettes appréciées des foodies pour faire sa place sur leurs tablettes ne suffit pas. Il faut pouvoir produire suffisamment. Cela ne sera plus un problème grâce à l'acquisition récente d'équipements dans le cadre d'une série d'investissements récents de 500 000 $.

La somme - et le programme Levier du ministère de l'Agriculture - a aussi permis à l'usine d'obtenir la certification HACCP, essentielle pour vendre à Costco, à tous les Walmart et aux États-Unis.

Trois saveurs de céréales Fourmi bionique sont déjà vendues dans une quarantaine de Walmart du Québec, mais « on espère une distribution nationale. Comme avec tous nos clients », dit Geneviève Gagnon, dont 85 % des revenus proviennent du Québec.

Car pour le moment, aucun des trois grands de l'alimentation - Metro, Sobeys et Loblaw - n'a invité Fourmi bionique dans ses supermarchés du Canada anglais. Par contre, les perspectives sur le marché européen sont encourageantes grâce à la certification Ecocert et à l'entente de libre-échange qui favorisera les exportations de grains.

UN NOM QUI « NE PASSE PAS »

L'un des problèmes de l'entreprise est en partie linguistique. « Fourmi bionique, ça ne passe pas du tout [en anglais]. Ils ne sont pas capables de le prononcer, et ça ne veut rien dire », admet Geneviève Gagnon.

Après des années de réflexion sur le sujet, elle a décidé de changer sa stratégie. Désormais, l'entreprise continuera de s'appeler Fourmi bionique, mais les céréales porteront un autre nom. Exactement comme General Mills qui vend des Cheerios et des Lucky Charms.

Ces nouveaux noms seront dévoilés dans les prochains mois, en même temps que la nouvelle signature visuelle et de nouvelles gammes. Se faisant constamment demander des céréales sans gluten, Geneviève Gagnon a décidé d'en créer, même si cela fait d'elle « un boucher qui vend de la viande végétarienne ».

FOURMI BIOLOGIQUE EN LIGNE

Une autre catégorie de produits - ultra secrète - est également en préparation pour 2018. La femme d'affaires espère qu'elle lui permettra encore une fois d'être une source d'inspiration pour l'industrie alimentaire.

Et comme si tout cela n'était pas assez, elle a commencé, il y a quelques jours, à vendre en ligne certains des ingrédients qui composent ses céréales : fruits séchés sans sulfite, copeaux de noix de coco qu'elle grille et sale légèrement, chocolat suisse unique...

Cela permettra aux clients de composer leurs propres céréales ou d'avoir une double portion de leur garniture préférée. Le site « pallie aussi le fait qu'il n'y a pas 100 % des saveurs et des formats dans toutes les épiceries », dans un monde où le consommateur est « clairement à l'aise d'acheter des céréales en ligne ».

LA PERFECTION DANS L'IMPERFECTION« Pour demeurer artisanal, il faut faire plein de compromis. Moi, je n'aurai jamais une uniformité de cuisson comme celle de Kellogg. Je vais toujours trouver de la perfection dans l'imperfection. En 14 ans, j'ai toujours trouvé des façons d'innover en restant proche de mon produit. Je sais que c'est faisable de produire plus en gardant mon authenticité et en donnant l'impression que ç'a été fait la veille dans le fourneau. C'est le genre d'entreprise que j'ai le goût d'avoir. »

ÉLOGE DE LA VARIABILITÉ« Je vais toujours utiliser des ingrédients que les grands industriels ont délaissés parce qu'ils sont compliqués et coûteux, parce qu'ils ont une variabilité. Moi, mes ingrédients viennent du terroir québécois et leur qualité varie selon les saisons, selon les récoltes. Le miel est une denrée de plus en plus luxueuse et menacée, mais c'est une composante imposante de mes recettes qui fait que ma recette ressemble à celle qu'on fait à la maison. »

LA TOUCHE HUMAINE« Moi, j'ai beaucoup de manipulations, et la touche humaine est importante. Il y a une évaluation de la matière qui se fait. Les céréales n'absorbent pas le liquide de la même façon à toutes les batchs. Il faut l'oeil et une expérience pour savoir comment la température extérieure est en train d'affecter la cuisson à l'intérieur de mon four. Et la coloration de mon produit. Ce n'est pas un senseur qui va me dire quand mon produit est conforme. »

LES PETITS CAPRICES« J'utilise toutes sortes d'ingrédients très capricieux. Des chocolats beaucoup trop luxueux pour les industriels. Je fais des marges saines et eux en font d'énormes, d'où leur budget pour faire des publicités que je ne fais pas. Moi, je pousse la note. C'est compliqué, mettre des pétales de fleur, mais c'est toutes sortes de petits caprices qui me permettent d'être nichée et inimitable. Je mérite ma pérennité grâce à la qualité. »

Photo David Boily, La Presse

Geneviève Gagnon, propriétaire de Fourmi bionique

Photo Ivanoh Demers, La Presse

« Dans les céréales traditionnelles, la croissance est nulle ou c'est en déclin. Mais dans le bio et santé, ça augmente dans les deux chiffres », affirme Geneviève Gagnon, propriétaire de Fourmi bionique.