Exclusif. Après plus de trois ans de lutte contre le fisc, le fabricant de jambon fumé Salaison Levesque vient de remporter une victoire éclatante qui pourrait créer un précédent pour l'ensemble des PME québécoises.

Lundi dernier, la Cour canadienne de l'impôt a donné raison à l'entreprise montréalaise dans un jugement très sévère à l'endroit de Revenu Québec.

D'entrée de jeu, le juge Alain Tardif indique que la position du fisc est «nébuleuse» et que certaines de ses conclusions sont «farfelues et loufoques». Mais surtout, il rappelle que la mission d'une PME est de générer des revenus, et non pas d'agir comme «police de la fiscalité» à la place de Revenu Québec.

Depuis quelques années, Revenu Québec, qui administre la TPS et la TVQ au Québec, a créé un véritable devoir d'enquête pour les entreprises face à leurs sous-traitants.

Il s'agit d'une épée de Damoclès pour un demi-million d'entreprises et de travailleurs autonomes qui peuvent se faire réclamer des sommes astronomiques parce qu'ils ont fait affaire avec un fournisseur malhonnête sans le savoir.

D'ailleurs, les montants de récupération fiscale en matière de TPS et de TVQ ont explosé de 75% depuis deux ans. En 2012, Revenu Québec a réclamé 1,4 milliard de dollars à 83 000 entrepreneurs.

Or, les exigences de Revenu Québec outrepassent la loi, a tranché le juge Tardif. Son rôle est d'appliquer la loi, pas de créer de nouvelles règles.

Beaucoup d'heureux

«Je suis tellement contente!», a lancé Annie Levesque. «C'était vraiment difficile de lutter contre eux. Dès le début, j'étais coupable. Ils ont mis en péril mon entreprise», raconte la propriétaire de Salaison Levesque.

Non seulement a-t-elle dû verser 315 000$ au fisc avant le jugement, mais encore il lui en a coûté au moins 100 000$ en frais d'avocat pour contester la cotisation. «Ça m'a empêchée d'investir, d'acheter de l'équipement, d'agrandir», dit Mme Levesque.

Se battre contre des géants comme Maple Leaf, ça fait partie du jeu, dit-elle. «Mais mon pire concurrent, c'est mon gouvernement. Ce n'est pas normal!»

Mme Levesque n'est pas la seule à se réjouir du jugement. «C'est une très bonne nouvelle pour la communauté fiscale et les entrepreneurs québécois», a commenté Me Étienne Gadbois, spécialiste en taxes à la consommation chez De Grandpré Chait.

«Pour nous, c'est un débat important. C'est le gros fossé qui sépare présentement les entreprises et Revenu Québec», a ajouté Me Paul Ryan, fiscaliste associé chez Ravinsky Ryan Lemoyne et auteur du livre Quand le fisc attaque.

Mais il est trop tôt pour dire si le fisc fera appel comme il vient de le faire dans une cause semblable. En octobre dernier, le fisc avait perdu en Cour supérieure contre la famille Picotte, à qui il réclamait plus d'un demi-million de dollars.

Trop tôt aussi pour dire si le fisc changera d'attitude face aux PME. Toutefois, Revenu Québec a réitéré, hier, son intention de lutter contre l'évasion fiscale dans le secteur des agences de placement qui sont au coeur du litige qui l'oppose à Salaison Levesque.

Agences frauduleuses

Salaison Levesque est une entreprise familiale fondée en 1967 qui vend ses produits dans plusieurs épiceries au Canada et à l'étranger. La PME sans reproche, crédible et fiable réalise un chiffre d'affaires d'environ 15 millions de dollars et emploie près de 75 personnes.

En période de pointe, la PME doit faire appel à des agences de placement pour combler ses besoins de main-d'oeuvre additionnels.

Entre 2005 et 2008, elle a retenu les services de quatre agences: Placements Tout Azimut, Alina, Production Plus et Entreprise A. Bustos. Elle leur a payé les taxes, après avoir fait les vérifications requises par la loi. Elle a ensuite réclamé au fisc le remboursement des taxes, comme elle y a droit.

Sauf que les agences ont disparues dans la nature en empochant les montants de TVQ et de TPS qu'elles auraient dû remettre à l'État.

Mais au lieu de pousser son enquête contre les agences frauduleuses, Revenu Québec a choisi la voie facile et rapide en s'attaquant à Salaison Levesque, déplore le juge Tardif.

Pourtant, les lois fiscales en matière de TPS ne contiennent aucune disposition permettant aux autorités fiscales de tenir une entreprise responsable de la fraude fiscale de l'un de ses fournisseurs, précise le juge.

Sa décision démontre que le but ultime du fisc est de récupérer le montant cotisé, même quand l'entreprise visée par l'avis de cotisation est parfaitement honnête et sans reproche.