Une simple ferme? Ça n'existe plus. On ne trouve plus guère que des entreprises agricoles qui gèrent plusieurs centaines de milliers de dollars et qui valent des millions.

Comme celle d'Arthur Boire et de sa femme Lucille, près de Napierville, en Montérégie.

En 2004, leur fils Jean-François, âgé de 31 ans, a pris l'exploitation en main. Son frère Frédéric, 33 ans, l'a rejoint quatre ans plus tard.

En 2012 est venu le temps de leur transmettre l'entreprise familiale. M. et Mme Boire ne voulaient pas étouffer leurs fils sous les dettes, mais la ferme constituait en même temps leur fonds de retraite.

Un équilibre délicat et un problème typique.

À la fin de mars, dans la cour de la ferme familiale, Frédéric et Jean-François Boire soudent des socs sur leur chasse-débris, un instrument de 20 m de largeur, accroché comme une poutre à l'arrière d'un tracteur à roues doubles. «On n'a pas acheté les morceaux, on les a faits nous-mêmes», indique Frédéric. Les pièces leur coûtent ainsi 1800$ plutôt que 6000$. Sur une ferme, chaque dollar compte.

Sous peu, l'engin dégagera les champs des vestiges végétaux de l'année précédente, pour former des bandes prêtes à semer en maïs et en soja.

La ferme compte cinq tracteurs, une moissonneuse-batteuse, un planteur à maïs et soja, de l'équipement de préparation de sol, huit silos pour le séchage de 2200 tonnes de céréales... entre autres.

Quatre générations

En 2011, la ferme Boire couvrait 850 arpents. Au premier lopin de 160 arpents, acquis en 1902 par leur arrière-grand-père, se sont ajoutés près de 400 arpents en 1953, puis encore 300 achetés par Arthur Boire en 1995.

Pour accroître la production, les deux frères ont loué une terre voisine de 400 arpents. «On parle de 1250 arpents, c'est une bonne grandeur pour faire vivre deux familles», souligne Frédéric.

À l'échelle urbaine, la superficie est impressionnante: 427 hectares, ou 4,27 km2, ou 525 terrains de football canadien, zones de but comprises.

Il y a deux ans, une telle surface valait 5,5 millions. Il faudrait payer les 400 arpents du voisin à la valeur du marché. Les 850 arpents de la ferme familiale seraient acquis à prix... familial.

«Pour acheter la terre de nos parents, ce n'était pas un problème, mais on se demandait comment on allait faire pour acheter la terre qu'on louait», narre Jean-François.

Juste assez pour être bien

Arthur Boire a 72 ans. Lucille en a 70. «Ça ne paraît pas, hein?», lance Frédéric, dans la cuisine de la maison familiale. Mme Boire tient la comptabilité de la ferme Boire depuis 1994.

Les deux parents ne voulaient pas faire une fortune, mais simplement toucher un revenu annuel suffisant pour vivre sans inquiétude jusqu'à la fin de leurs jours. «Il fallait que nos parents aient suffisamment d'argent pour le reste de leur vie, mais qu'on soit capables d'arriver», résume Jean-François.

Avec les prestations de la Sécurité de la vieillesse et de la Régie des rentes du Québec, Arthur et Lucille estimaient avoir besoin d'un revenu annuel supplémentaire de moins de 30 000$.

Leur conseiller en transfert de ferme de la Banque Laurentienne a suggéré une rente viagère équivalente. Le montage financier s'est divisé en trois prêts.

Un premier pour le remboursement des avances accordées précédemment aux fils. Un second prêt de près de 3 millions pour l'achat de la terre des voisins. Et enfin, un prêt pour l'achat de la rente viagère des parents, qui scelle la cession.

Cette dernière portion est garantie par une assurance vie d'un montant équivalent sur la tête des parents. L'indemnité, versée au deuxième décès, servira à rembourser le capital. Durant les cinq premières années, seuls les intérêts sont exigibles.

Parce que les prêts sont relatifs au transfert d'une exploitation familiale, l'amortissement peut être étalé sur 40 ans. Les paiements, moins élevés pour l'instant, permettent aux deux frères d'investir dans l'amélioration de leurs terres.

Céder aux suivants...

«Nos enfants travaillent sur la terre depuis qu'ils sont hauts comme ça», commente Lucille Boire.

«C'est sûr que si on avait vendu à des étrangers, on aurait peut-être eu un gros montant, mais d'un autre côté, la ferme se perpétue. Ce qu'on a reçu fait notre affaire, et on est capables de vivre avec ça», conclut-elle, avant de partir, mallette à la main, faire la comptabilité chez un autre producteur.

Arthur Boire n'est pas en reste de sérénité. «Je suis content d'avoir vendu à mes fils. Si j'avais vendu à quelqu'un d'autre, je ne pourrais pas les regarder dans les yeux.»

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EN BREF

La situation: le transfert d'une exploitation agricole L'entreprise: Ferme Boire 2012 Spécialité: maïs et soja pour consommation animale Superficie totale: 1250 arpents Cédants: Arthur et Lucille Boire Acheteurs: leurs fils, Jean-François et Frédéric

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Les observations de...

Gérald Tétreault, directeur de comptes, transfert de ferme, à la Banque Laurentienne.

> La situation était idéale: «Les parents n'ont pas eu à se soucier de la question de l'équité envers d'autres enfants.» Dans ces cas, les parents souscrivent une assurance vie au bénéfice des enfants qui ne rachètent pas la terre.

> La rente offre l'avantage d'acquitter complètement le transfert de l'exploitation. Dans le cas où les enfants remboursent peu à peu aux parents la part qui n'a pu être payée immédiatement, ces derniers ont souvent tendance à conserver un intérêt insistant dans le développement de l'entreprise. «Bien souvent, pour la relève, ça devient un peu fatigant de sentir le souffle de tes parents dans ton cou chaque fois que tu fais un investissement.»

> Prudence après le transfert: «C'est généralement alors que les gens vont partir en grande et vouloir développer trop rapidement l'exploitation. Ce peut être le danger auquel nos amis pourraient faire face, compte tenu des bonnes années financières qu'ils ont connues depuis deux ans.»

> Autre écueil: «Il suffirait que l'un ne soit plus sur la même longueur d'onde que son frère et on se retrouverait avec des difficultés. Mais le fait qu'ils aient mis en place une convention d'actionnaires minimisera les problèmes qu'ils pourraient rencontrer.» Cette convention, signée devant notaire, fait notamment état des modalités de partage des biens en cas de séparation ou de décès.

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