Avec leurs produits de marque Boris, Michel Godin et David Bérubé préparent une révolution. Le président et le directeur général de la Brasserie Licorne veulent devenir des «liquid designers», c'est-à-dire des créateurs de boissons alcoolisées. Autrement dit, ils ne veulent plus s'en tenir qu'aux produits à base de malt. Après avoir créé une gamme de coolers qui les a mis en orbite, ils se lanceront bientôt dans la production de cidre, de spiritueux et d'autres produits qu'ils préfèrent taire pour le moment.

Au cours des deux prochaines années, Brasserie Licorne investira près de 5 millions afin de tripler la superficie de ses installations en bordure de l'autoroute 20 à Saint-Hyacinthe. L'argent servira aussi à l'achat de nouveaux équipements, notamment un alambic. À terme, la PME de 24 employés prévoit passer d'une production de 35 000 hectolitres actuellement (ou 3,5 millions de litres) à plus de 100 000 hectolitres.

Du coup, elle se hisserait parmi les cinq plus importants brasseurs au Québec. Selon David Bérubé, Molson et Labatt occupent les deux premières places, suivis par Sleeman Unibroue, RJ-MacAuslan, Boréal et Broue Alliance. De par ses investissements et son volume de production, la Brasserie Licorne espère se retrouver tout juste derrière Sleeman Unibroue, dit le DG de la PME présente dans près de 6000 points de vente au Québec.

L'entreprise maskoutaine, qui réalise 95% de ses ventes dans la Belle Province, ne veut pas simplement créer de nouveaux produits, elle veut également rapatrier la fabrication des bières Boris à Saint-Hyacinthe. Les quatre bières Boris (une Lager et une bière aromatisée à la lime, à un taux de 5,5% d'alcool, de même qu'une «Bold» à 8% et une Slam à 10%) sont brassées en Alsace. Au Québec, Licorne fabrique cinq «coolers».

Brasserie Licorne Saint-Hyacinthe est une division de Brasserie Licorne SA en France qui, à son tour, est une division de Karlsberg Braurei, l'une des 10 plus importantes brasseries d'Allemagne. La marque Boris est donc germanique. Mais c'est au Québec que Boris a été créé en 2003 par Michel Godin, autrefois directeur chez Unibroue.

C'est lorsqu'il s'occupait de la distribution des produits d'Unibroue en Europe, de 1998 à 2002, que Michel Godin a fait la connaissance des gens de Licorne France et de Karlsberg. «C'est eux qui distribuaient Unibroue en Europe. À la fin de mon mandat, ils m'ont engagé pour que je distribue leurs produits en Amérique du Nord. Je leur ai plutôt proposé de créer un produit en Amérique pour le marché nord-américain», dit-il.

Un goût de révolte...

C'est ainsi qu'en 2003, à la veille de l'invasion de l'Irak par les États-Unis, la marque Boris a été créée à Montréal. «Les manifestations partout dans le monde, les gens avec des drapeaux, ça nous a inspirés. Boris est une sorte de porte-étendard. Son nom fait un peu macho pour les gars et il est attirant pour les filles», révèle Michel Godin.

La production de la bière Boris, dans sa bouteille de 250 ml, a donc commencé en France. Importé au Québec, le produit a rapidement connu du succès. Mais c'est à partir de 2005 que la marque Boris a réellement explosé lorsque Licorne France a commencé à produire ses premières boissons alcoolisées à base de malt, connues dans le jargon populaire comme des «coolers».

Devant la popularité grandissante des coolers Boris, et parce que Michel Godin en faisait la demande depuis déjà quelques années, Karlsberg a donné le feu vert à la construction d'une usine au Québec. En 2011, la Brasserie Licorne voyait donc le jour en sol maskoutain. La brasserie a été mise en place en moins de sept mois. Un véritable tour de force salué par les Français et les Allemands.

Michel Godin y est pour beaucoup. Mais David Bérubé aussi. À 38 ans, M. Bérubé a une impressionnante feuille de route. Chimiste de formation, il a travaillé dans le secteur pharmaceutique avant de se joindre à la Brasserie Molson pendant neuf ans. Il y a reçu le titre de maître brasseur après avoir suivi une formation au Institute of Brewing and Distiling (IBD) en Angleterre. Puis, après un passage de quatre ans au Domaine Pinnacle, David Bérubé a choisi de faire équipe avec Michel Godin en avril 2011.

D'ici à ce qu'elle produise ses propres spiritueux, Brasserie Licorne fait actuellement appel à un sous-traitant québécois pour la fabrication de la vodka Boris. Celle-ci devrait vraisemblablement être offerte à la SAQ au printemps. Lorsqu'elle se sera dotée d'un alambic, la PME produira non seulement une vodka, mais également un gin. Toujours en misant sur l'image de Boris, ce personnage - en fait une silhouette noire - irrévérencieux qui défie l'autorité.

La décision de Michel Godin de devenir un liquid designer s'inscrit dans une mouvance de diversification et d'innovation qu'on observe en Amérique du Nord. Le Québec n'y fait pas exception et semble même dominer en la matière, affirme Jean-Pierre Tremblay, directeur de l'Association des microbrasseries du Québec.

Il cite, entre autres exemples, la Microbrasserie Charlevoix qui produit le Dominus Vobiscum brut, une boisson fabriquée de A à Z selon la méthode champenoise. Il en résulte un champagne fait, non pas avec du raisin, mais plutôt avec de l'orge. M. Tremblay cite aussi la microbrasserie Le Trou du Diable qui élève certaines de ses bières dans des fûts de chêne rachetés à Jack Daniels.