Le plan d'affaires est de plus en plus contesté. S'il demeure le support le plus utilisé pour présenter un projet de démarrage d'entreprise, c'est la réflexion de l'individu derrière le projet qui fait réellement toute la différence, et non le respect d'une forme préétablie.

Dans sa forme conventionnelle, le plan d'affaires compte des parties bien définies: présentation du projet, étude de marché, plan marketing, plan des opérations et des ressources humaines et finalement le plan financier, qui rassemble toutes les données en chiffres pour montrer si le projet est viable financièrement ou non.

Mais est-ce que cet outil assiste convenablement un futur entrepreneur dans son processus de démarrage d'entreprise qui, avant d'être posé rationnellement sur papier, doit être mûrement réfléchi? Plusieurs s'interrogent à ce sujet.

Parmi eux, Claude Ananou, chargé de formation au HEC, remet carrément en question l'utilité du plan d'affaires.

Il trimbale avec lui ses 15 questions qui «tuent» à peu près tous les plans d'affaires, telle celle-ci: «Êtes-vous capable de vivre dans l'inconnu?»

«L'idée, c'est de déstabiliser un porteur de projet qui croit être rendu au bout du processus et qui ne s'est pas posé nécessairement les bonnes questions», résume-t-il.

«Avec le temps, constate M. Ananou, il y a eu une dérive du plan d'affaires, qui est de plus en plus axé sur les fonctions de l'entreprise. Le plan d'affaires sert donc à gérer une entreprise et non à la créer. C'est comme faire un enfant; est-ce qu'on décide à l'avance de ce que l'enfant nous coûtera, où il étudiera, quel sera son métier? La plupart des parents n'auraient pas d'enfants s'ils faisaient cet exercice! Avant d'élever l'enfant, il faut le créer.»

Opportunités

Dans son ouvrage De l'intention au projet d'entreprise, il parle plutôt du dossier d'opportunités, un travail en «amont» du plan d'affaires.

«Dans création d'entreprise, il y a le verbe créer. Au lieu de se concentrer sur les compétences ou aptitudes que les gens doivent avoir pour gérer une entreprise, nous présentons plutôt l'anatomie de l'entrepreneur, qui est basée sur trois choses: le sens de la curiosité, le muscle de la créativité et le nerf du risque.»

Car pour M. Ananou, tout être humain a en lui la «graine» de l'entrepreneur, mais il faut développer les trois «sens» indispensables à sa réussite.

«C'est ça notre problème au Québec! On a plein d'organismes qui aident les gens à être de meilleurs «éleveurs», mais personne ne stimule l'ensemencement. C'est pour ça qu'on est la province la moins entrepreneuriale.»

Le processus avant le document

«Le plan d'affaires dans sa forme actuelle est contesté, admet Paule Tardif, directrice générale du Centre d'entrepreneurship Poly-HEC-UdeM. C'est quand même le document dont les étudiants se servent pour présenter leurs projets à notre concours. Mais pour nous, le plan d'affaires sert d'outil et de support au processus de réflexion, qui est le plus important. On veut voir la fibre entrepreneuriale de l'individu, sa personnalité. On apprend aux gens à pêcher plutôt qu'à manger le poisson!» dit-elle pour illustrer son propos. Elle ajoute que la mission du centre est avant tout de développer la culture entrepreneuriale chez les étudiants.

Carl-Frédéric de Celles a fondé quatre entreprises; les plans d'affaires, il connaît.

Il se souvient de son tout premier, il y a 15 ans, pour son entreprise iXmedia, spécialisée stratégie et consultation web.

«On suivant des cours d'entrepreneuriat qui s'attardaient beaucoup sur la forme du document, le modèle à utiliser. C'est devenu la pire affaire au monde pour nous, ça avait l'air à la fois magique et nébuleux. Ce qu'on n'avait peut-être pas compris, c'est que c'était juste un exercice pour t'aider à valider le fait que tu as une bonne idée.»

De son avis également, c'est le processus de réflexion derrière le projet qui importe, et non le document papier.

«Pour moi, ce n'est pas un document, c'est plus réfléchir à un projet. Quand tu as vraiment bien réfléchi, ça devient extrêmement facile d'écrire le document papier. En fait, le document sert surtout à montrer à d'autres que tu as réfléchi à ton projet. En Californie, où les gens sont plus habitués à ce processus, un plan d'affaires peut tenir sur deux pages. C'est l'individu et l'idée derrière qui comptent réellement.»

Cette année, près d'une cinquantaine d'étudiants ont déposé leur projet au concours du Centre d'entrepreneurship, qui n'est pas un concours de plan d'affaires, mais de démarrage d'entreprise, nuance Mme Tardif.

«Ce qui nous intéresse, c'est de comprendre d'où vient le projet, de voir le fil conducteur. Car plus un projet est mûri, plus il a de chances de réussir.»

Rendez-vous avec la réalité

«Le plan d'affaires, c'est une photo à un moment donné d'un projet. C'est de voir si l'idée peut être incarnée dans la réalité», résume Mme Tardif.

Une erreur commune selon M. de Celles, c'est l'illusion que se crée eux-mêmes les gens en écrivant leur plan d'affaires. Un conseil?

«Être bien certain d'avoir posé toutes les questions entourant le projet et s'assurer de ne pas vivre sur un nuage, dans une espèce d'illusion que l'idée est bonne. Bref, il faut se remettre en doute.»

Croire qu'on a l'idée du siècle est une chose; la confronter à la réalité en est une autre. Voilà à quoi devrait servir un plan d'affaires.