La PME Stedfast vient de déposer un brevet en partenariat avec l'armée des États-Unis pour la création d'un tissu de protection révolutionnaire. Malgré tout, l'entreprise de Granby refuse de sabler le champagne. Pourquoi? Parce que les produits en provenance des pays émergents ne cessent de s'améliorer et ceux-ci commencent sérieusement à bousculer l'industrie canadienne du textile technique.

Bref, ce n'est pas le moment de plastronner, mais bien de continuer à innover, croit Hamid Benaddi, directeur recherche de Stedfast et docteur en chimie.

«De plus en plus, dans les foires commerciales, on note une nette amélioration des produits qui viennent de la Chine, de Taïwan ou de l'Inde. Ça représente une certaine menace. La question est de savoir si la qualité peut être constante. Présenter des échantillons de qualité et livrer des milliers de mètres de ce même échantillon, ce sont deux choses bien différentes», explique M. Benaddi.

Les gens de Stedfast peuvent tout de même se frotter les mains. L'entreprise de Granby a mis au point un tissu barrière baptisé Stedair-CAT, acronyme de «Chemical Active Textile». Le tissu créé par la PME québécoise de 100 employés permet non seulement de bloquer les agents chimiques, mais aussi de les neutraliser.

Il n'en fallait pas plus pour que l'armée américaine s'y intéresse et endosse le Stedair-CAT. Résultat, l'armée américaine et Stedfast viennent de déposer un brevet pour la technologie de ce tissu barrière qui, à l'origine, appartenait à l'armée britannique. Stedfast en est devenu propriétaire en 2003 et l'a considérablement amélioré, notamment en le rendant lavable à la machine.

Le Stedair-CAT est à l'étape de la commercialisation et devrait permettre à la PME granbyenne de percer de nouveaux marchés. Le fabricant est déjà bien établi en Amérique du Nord, où il fait 90% de ses ventes, lesquelles se situent entre 25 et 35 millions de dollars. Stedfast appartient majoritairement à des intérêts canadiens (la famille Key) et, dans une moindre mesure, au Fonds de la FTQ. La PME connaît une croissance d'au moins 10% depuis cinq ans.

Les armées canadienne et américaine connaissent très bien Stedfast. Pour devenir un fournisseur reconnu des troupes de l'Oncle Sam, Stedfast devait posséder des installations en sol américain. En 2007, elle a acheté une usine du groupe Donaldson, à Philadelphie.

Le fabricant québécois lorgne maintenant du côté de l'Amérique du Sud - principalement au Brésil -, de même que de l'Asie. Il participera d'ailleurs à une importante foire commerciale en Chine l'automne prochain. Ce n'est pas la première fois que l'entreprise tente une percée outre-mer avec ses produits novateurs. Les planètes n'étaient tout simplement pas alignées, résume Hamid Benaddi, qui travaille pour Stedfast depuis sept ans.

Stedfast est l'un des fleurons canadiens du textile technique. En utilisant l'enduction, le laminage ou les nanotechnogies, il apporte une valeur ajoutée à différents types de matériaux souples qu'il transforme en membranes ou en tissus barrières contre l'eau, le froid, le feu, les bactéries, la radiation et les produits toxiques.

Une panoplie de possibilités

Les tissus de la PME sont utilisés dans une panoplie de secteurs: militaire, marin, médical, industriel, minier, construction, etc. Ainsi, les tissus barrières de Stedfast servent à fabriquer des habits pour les soldats, les chirurgiens, les travailleurs de l'industrie de la pétrochimie, mais aussi des matériaux qui entrent dans la composition de bottes de travail, de canots de sauvetage, etc.

Pour se démarquer des Européens et des Américains, dont Gore, fabricant du célèbre Goretex, Stedfast devra continuer à miser sur l'innovation. La PME compte une équipe de recherche et développement d'environ 15 personnes, qui profite d'un budget annuel représentant près de 10% du chiffre d'affaires de l'entreprise.

Outre son Stedair CAT, la PME des Cantons-de-l'Est espère marquer des points dans les prochaines foires commerciales grâce à un produit baptisé Stedshield. Il s'agit d'une membrane permettant d'éviter aux pièces métalliques de surchauffer au soleil. L'acier qui enveloppe un char d'assaut posté dans un quelconque désert peut grimper jusqu'à 80 degrés lorsqu'il est exposé au soleil. Le Stedshield permet de capter la chaleur. Cette technologie peut s'appliquer dans divers contextes, rappelle Hamid Benaddi.

Pas inquiétant

Selon Jacek Mlynarek, PDG du Groupe CTT, un organisme de Saint-Hyacinthe qui aide à la progression des entreprises de textiles, de géosynthétiques et de para-textiles, M. Benaddi ne devrait pas s'inquiéter outre mesure des visées des pays émergents. «Pour le moment, ces pays se concentrent encore dans la production de masse. Nous occupons un marché très «niché» et le Canada demeure un excellent joueur. Ce qui nous préoccupe, c'est que les programmes de soutien gouvernementaux qui nous ont tant aidés ne seront peut-être pas reconduits», explique M. Mlynarek.

Il ajoute: «Il y a d'immenses possibilités dans le domaine. La construction de routes ne se fait pas sans géotextile. Un vélo et un kayak contiennent du textile technique. Même chose pour les éoliennes ou l'isolation d'une maison. Les gens ne le voient pas, mais il y a du textile partout», ajoute M. Mlynarek, détenteur d'un doctorat en géotextile.

Au Canada, environ 23 000 personnes travaillent dans le domaine des textiles techniques.