À titre de producteur télé, Jacquelin Bouchard n'a jamais autant nagé dans le succès. Mais malgré sa bonne fortune, le président et fondateur du Groupe Pixcom se fait du souci. Il s'inquiète de l'avenir des cultures québécoise et canadienne. Dans un contexte, dit-il, où l'internet et les autres plateformes de diffusion sont en train de redéfinir le paysage médiatique, il faut absolument soutenir le contenu local dans les nouveaux médias.

«L'envahissement sournois du contenu étranger dans les nouveaux médias m'inquiète énormément», explique Jacquelin Bouchard, qui célébrait son 57e anniversaire de naissance lorsque La Presse Affaires l'a rencontré, la semaine dernière, dans les bureaux de Pixcom, à deux pas du canal de Lachine.

«Je sais que c'est une décision politique, ajoute-t-il du même souffle, mais il faudrait créer un fonds pour aider à la création de contenu québécois et canadien dans les nouveaux médias, un peu comme ça a été le cas dans le secteur de la télé avec le Fonds canadien de la télévision.»

Le Fonds canadien de la télévision (FCT) a vu le jour en 1996. Doté d'un budget annuel de 250 millions (financé par le gouvernement fédéral, les câblodistributeurs et les fournisseurs de services de radiodiffusion directe par satellite), ce fonds a permis (et permet encore) de créer des milliers d'heures de contenu canadien.

Contrer l'offre par l'offre

Bref, le FCT a notamment fait en sorte que des téléséries américaines comme Dallas ont été remplacées sur nos ondes par des téléséries québécoises. «Nous avons contré l'offre par l'offre. Et ça a marché pour la télé. Pourquoi on ne le ferait pas maintenant pour l'internet?» s'interroge M. Bouchard.

Pour le commun des mortels, le nom de Jacquelin Bouchard n'évoque sans doute rien. Pourtant, des millions de téléspectateurs partout dans le monde ont déjà vu une émission ou un documentaire produit par Pixcom, boîte de production fondée en 1987 par cet ancien réalisateur qui a tout misé sur son entreprise.

Originaire d'une famille modeste du quartier Saint-Roch à Québec, ce passionné d'audiovisuel - il a réalisé son premier film en 8 mm à l'âge de 12 ans - est derrière 155 concepts d'émissions et autres documentaires. Certaines de ces émissions sont demeurées sur les ondes de cinq à dix ans. En 2009-2010, Pixcom comptait pas moins de 20 émissions (Aveux, Destinées, Le cercle, Kampaï, Visite libre, etc.) sur une douzaine de chaînes différentes. Cette PME de 50 employés permanents (mais qui embauche près de 1500 pigistes sur une base annuelle) est donc omniprésente dans le paysage télévisuel québécois. Et elle est de plus en plus présente au Canada et ailleurs dans le monde.

Jacquelin Bouchard donne très peu d'entrevues. Il aime surtout travailler dans l'ombre. S'il a accepté de rencontrer les médias, c'était bien sûr pour parler du contenu canadien sur les nouvelles plateformes de diffusion (internet, téléphones intelligents, etc.). Mais ce qu'il voulait avant tout, c'était déboulonner certains mythes.

Prendre des risques

«Bien des gens croient que nous ne sommes pas des entrepreneurs, que nous ne prenons jamais de risques (lire: que l'industrie fonctionne uniquement avec des subventions) et que les entreprises de production ne sont pas structurantes dans l'économie québécoise. Tout ça est faux», lance Jacquelin Bouchard, principal actionnaire de la PME.

Même si le chiffre d'affaires du Groupe Pixcom avoisine actuellement les 40 millions, il n'en a pas toujours été ainsi. À une certaine époque, l'entreprise a déjà frôlé la catastrophe. Par ailleurs, aime à rappeler Jacquelin Bouchard, pour 20 émissions et documentaires qui sont diffusés, il faut plancher sur environ 150 projets.

«Ça veut dire qu'il y a plein d'émissions qui finissent à la poubelle, des émissions qui nous ont coûté beaucoup de temps et d'argent. Les gens pensent juste au côté «glamour» de la télé et ne s'imaginent pas tout le travail de création et de logistique derrière chaque émission», dit le patron de l'entreprise, passionné d'architecture.

Groupe Pixcom tire 90% de ses revenus de la production d'émissions (fiction, jeunesse, variétés, magazine) et de documentaires pour le marché québécois. Le reste provient de la vente de documentaires (essentiellement scientifiques) sur le marché international. Par exemple, Insectia, dans lequel le très coloré Georges Brossard discourt sur les insectes, a été vendu dans 150 pays.

La PME offre également, entre autres services, le design technologique, le doublage, les services techniques télévisuels. Groupe Pixcom fait aussi de plus en plus dans le cinéma. Elle est derrière Piché, long métrage qui raconte la vie du commandant Robert Piché, dont la sortie est prévue cette année.

Plus récemment, Groupe Pixcom a produit Licensed to Drill, série de six émissions où l'on suit une équipe de forage à la recherche de pétrole dans le Grand Nord canadien. Il s'agit du plus grand succès sur Discovery Channel à ce jour, dit Jacquelin Bouchard. Signe des temps, un jeu s'inspirant de Licensed to Drill pour l'iPhone a même été créé par l'équipe de Pixcom.

«L'avenir passe par l'ajout de sous-produits complémentaires sur lesquels nous avons les pleins pouvoirs, par exemple des sites web ou des jeux», explique Jacquelin Bouchard qui, pour se faire plaisir, a récemment écouté en rafale les Six Feet Under, Rome et autres The Sopranos de ce monde.