BABA. Le code boursier attribué à Alibaba résume assez bien l'état des investisseurs en ce premier jour de cotation à la Bourse de New York. Le prix d'introduction a finalement été arrêté hier à 68$US l'unité, dans le haut de la fourchette, pour une entrée en Bourse qui s'annonce animée ce matin.

La taille du placement atteint ainsi près de 25 milliards US pour une capitalisation boursière de 168 milliards US. Cela fait du site de cybercommerce chinois la troisième société internet du monde, derrière Google et Facebook. Pas mal pour cette entreprise fondée en 1999 par un professeur d'anglais, Jack Ma, avec 60 000$!

Il s'agit de la plus grosse entrée en Bourse de l'histoire. Facebook, jusqu'ici la plus grosse introduction technologique, avait levé 16 milliards US en mai 2012. Le record, tous secteurs confondus, était détenu par Agricultural Bank of China qui avait obtenu un peu plus de 22 milliards US sur les marchés en 2010.

La fourchette de prix indicative de ce premier appel public à l'épargne (PAPE) avait été relevée en début de semaine afin de refléter la demande massive pour le titre. Le géant chinois du commerce en ligne, qui a rencontré les investisseurs dans les principaux centres financiers, a attiré suffisamment de demandes pour couvrir la totalité de son offre en l'espace de deux jours. Les investisseurs potentiels se bousculaient à toutes les présentations, rapporte le New York Times.

Pour éviter tout couac lors de la première cotation du géant chinois, attendue vers 11h ce matin, la Bourse de New York a sorti le grand jeu et procédé à trois tests en temps réel. «Tout est prêt», ont affirmé à l'AFP les dirigeants, qui ne veulent surtout pas rééditer la mésaventure de la plateforme rivale, le NASDAQ, lors de l'inscription à la cote de Facebook en 2012.

L'arrivée d'Alibaba à la Bourse de New York survient dans la même semaine où le cap du milliard de sites a été franchi sur l'internet. Un quart de siècle après la naissance de la toile, la barre des 3 milliards d'internautes devrait, elle aussi, être passée prochainement.

Les joyaux

Alibaba fait saliver les investisseurs. En 2013, les transactions réalisées sur ses différents sites se sont élevées à 248 milliards US, soit à peu près le produit intérieur brut de la Grèce. À côté, l'américain Amazon fait piètre figure avec des recettes deux fois moindres.

La croissance est fulgurante. Fin 2013, le groupe chinois comptait 231 millions d'acheteurs actifs, soit 44% de plus qu'en 2012.

Et la rentabilité est déjà au rendez-vous. Le groupe fait plus de profits que Facebook et Amazon réunis. Le bénéfice net atteignait 4,5 milliards US sur un chiffre d'affaires de 8,6 milliards US, au terme de l'exercice terminé le 31 mars dernier. Oui, les marges sont ici très élevées.

Alibaba réalise l'essentiel de son activité en Chine. Ses deux principales places de marché, Taobao et Tmall, représentent à elles seules 80% du cybercommerce de l'empire du Milieu. Le groupe a livré plus d'articles sur son territoire que UPS dans le monde, l'an dernier. Déjà près de 20% de ses affaires sont générées sur téléphone mobile, considéré comme le meilleur vecteur de croissance pour le commerce électronique.

Alibaba avait mandaté six chefs de file pour mener à bien son PAPE: Credit Suisse, Deutsche Bank, Goldman Sachs, JPMorgan, Morgan Stanley et Citi. Rothschild conseille la société.

Le buzz ne fait que commencer

Les actionnaires de la première heure se frottent déjà les mains avec l'introduction d'Alibaba en Bourse ce matin. Le conglomérat japonais Softbank, premier actionnaire avec 30% du capital, a gagné plus de 16% depuis le lancement du démarchage du groupe chinois, le 8 septembre. Le jovial Yahoo!, qui cède près de la moitié de sa participation de 22,6% au trésor d'Alibaba, a gagné 18%.

En s'appuyant sur les actionnaires d'Alibaba ou ses principaux partenaires en affaires, des courtiers avaient créé en début d'année des fonds négociés en Bourse (FNB) pour anticiper l'émission d'Alibaba. Celui de Bank of America Merrill Lynch a triplé de valeur depuis mars.

Beau gain de capital en perspective aussi pour l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada (OIRPC) qui a déjà allongé 160 millions dans l'aventure du cybercommerce chinois. Deux investissements directs totalisant 136 millions ont été réalisés en 2011 et 2012. L'OIRPC a obtenu une participation additionnelle de 24 millions par l'entremise d'un fonds privé géré par Silver Lake Management LLC.

L'attrait d'Alibaba est indéniable. La taille de l'entreprise, son exposition à la croissance chinoise et sa rentabilité font que beaucoup d'investisseurs institutionnels devraient se laisser tenter. Les fonds communs axés sur l'Asie ne pourront l'éviter. Entre 25 et 50 gros investisseurs institutionnels se sont déjà réservé une belle pointe de la tarte, selon l'agence Reuters.

Le prix de 68$US par action demandé à l'émission paraît raisonnable pour ce type d'entreprise. Cela représente 30 fois le bénéfice net estimé pour l'exercice en cours, ce qui se compare à Google qui surfe aussi sur la croissance du web. De premières analyses indépendantes évaluent le titre à près de 90$US sur un horizon d'un an.

Gare à la bulle

Les invitations à la vigilance ne manquent toutefois pas et devraient refroidir l'épargnant prudent. Le chapitre «facteurs de risque» du prospectus préliminaire est particulièrement nourri.

Le réputé gestionnaire Marck Mobius, de Franklin Templeton, s'inquiète par exemple de la structure très particulière du capital d'Alibaba, qui ne laisse aux actionnaires presque aucun levier d'influence sur la direction. Le New York Times a longuement décrit cette organisation créée en 2000 pour contourner les restrictions imposées par les autorités chinoises aux investissements dans certaines industries stratégiques, comme les technologies de la communication.

Par ailleurs, ceux qui achètent des actions BABA n'acquièrent pas des actifs chinois, mais des parts d'une entité appelée Alibaba Group Holding Limited. Cette entreprise basée dans une des îles Caïmans partage les profits d'Alibaba Chine.

Deux figures mythiques de la Silicon Valley, Billy Gurley et Fred Wilson, qui ont accompagné Uber et Twitter en Bourse, voient dans cette frénésie pour l'internet une bulle comme on n'en avait plus connu depuis le tournant du siècle. Dans une interview au Wall Street Journal, Bill Gurley, du fonds Benchmark, s'alarme de la vitesse à laquelle les jeunes pousses de la techno brûlent leurs liquidités.

La recommandation

Quatre analystes indépendants ont amorcé le suivi d'Alibaba, tous avec des recommandations de «surpondération». Parmi les plus réservés, Gil Luria, de la firme Wedbush Morgan, de Los Angeles, voit le titre à 80$US d'ici un an. L'entreprise chinoise, écrit-il, est «l'une des combinaisons les plus convaincantes de taille, croissance et rentabilité à l'échelle mondiale». Le plus optimiste du groupe, James Cordwell, de la firme britannique Atlantic Equities, voit le titre à 100$US d'ici un an. «Avec près de 80% du commerce en ligne en Chine, l'entreprise a établi une position solide dans ce marché en forte croissance», commente-t-il, soulignant par ailleurs la concurrence intense dans ce secteur.

La caverne d'Alibaba

Principaux sites du groupe:

> Alibaba.com, vente de gros et commerce interentreprises international

> Tmall.com, plus grosse plateforme commerciale en Chine

> Aliexpress.com, vente en gros et au détail aux particuliers et aux entreprises dans le monde

> taobao.com, vente en gros et au détail aux particuliers et aux entreprises en Chine

Quelques filiales:

> 100% d'AutoNavi, entreprise chinoise de cartographie en ligne

> 60% du groupe ChinaVision, société de production de films pour le cinéma et de séries télévisées

> 35% des parts d'Intime Retail, enseigne de grands magasins présente dans toute la Chine

> 16,5% de Youku Tudou, première plateforme chinoise de vidéos sur l'internet

> 2% du capital de Haier Electronics Group

> 1- Une entreprise privée décide de faire appel aux marchés en vue de se financer.

> 2- L'entreprise soumet aux autorités réglementaires un document dans lequel elle détaille ses résultats financiers, son modèle d'affaires, ses stratégies et ses facteurs de risque.

> 3- Les dirigeants font une tournée de promotion afin de stimuler l'intérêt des investisseurs institutionnels.

> 4- Le prix d'émission est confirmé le soir qui précède la mise en marché.

> 5- À la Bourse de New York, le titre n'est pas échangé dès l'ouverture des marchés.

> 6- Par l'entremise d'un encan, des teneurs de marché sondent l'offre et la demande afin de confirmer le prix d'émission.

> 7- Les prix demandés et offerts sont diffusés à plusieurs reprises durant l'encan, jusqu'à ce qu'un prix final soit convenu.

> 8- Le titre entre officiellement en Bourse.