C'est la saveur du jour en Bourse. Peut-être plus sucrée encore qu'à l'habitude. Avec un arrière-goût de Zynga, toutefois.

Le groupe britannique King Digital Entertainment, créateur du jeu vidéo à succès Candy Crush Saga, aspire à une valeur de 6,7 à 7,6 milliards US avec l'introduction prochaine à la cote de la Bourse de New York de ses actions à un prix unitaire compris entre 21 et 24$US.

L'entreprise britannique s'est déjà réservé le symbole boursier grandiose «KING». Rien d'étonnant de la part d'un groupe qui a réussi à déposer le mot banal et courant «candy» (bonbon) et engagé dans la foulée des poursuites contre les autres jeux l'utilisant dans leur titre. Le développeur indépendant Benny Hsu, qui proposait sur l'App Store All Candy Casino Slots, a ainsi été prié de le retirer. Le Roi a parlé!

Un autre Zynga?

Les ambitions de King rappellent celles de l'américaine Zynga, qui fait presque figure ici de fou du roi. Introduit en Bourse en 2011 à la suite d'un premier appel public à l'épargne qui le valorisait aussi à environ 7 milliards US, le concepteur de jeux étroitement lié à Facebook a ensuite vu son cours boursier plonger de moitié, tout comme ses résultats, avec la désaffection des joueurs.

Sans être une aubaine, les actions de King sont offertes à meilleur prix que celles de Zynga. Le prix maximal projeté représente quatre fois le chiffre d'affaires courant, alors que le pionnier de l'industrie du jeu en ligne avec notamment ses titres-phares à la mécanique simple, FarmVille et CityVille, profitait d'un multiple de six fois les ventes.

Le prix proposé pour les actions de l'entreprise britannique, qui possède six studios créatifs en Europe, dont Londres et Stockholm, représente par ailleurs plus de 13 fois ses profits de l'année dernière, ce qui pourrait être considéré comme raisonnable si ses affaires n'étaient pas si risquées. Pour sa part, la californienne Zynga était encore déficitaire à son entrée en Bourse (et l'est toujours).

Fondé en 2002, King connaît une croissance fulgurante ces dernières années avec ses jeux Farm Heroes, Papa Pear et Pet Rescue, et le non moins coloré Candy Crush. Le chiffre d'affaires a plus que décuplé à 1,9 milliard US, de 2012 à 2013, tandis que son bénéfice net s'est envolé de 7,8 millions US en 2012 à 567,6 millions US l'an dernier.

Le nombre d'usagers est toutefois déjà en déclin, à 12,2 millions, depuis le sommet de 13 millions enregistré à l'automne, ce qui expliquerait «l'escompte» par rapport à Zynga. Candy Crush compte pour les trois quarts de l'affluence comme de la cagnotte. Zynga était aussi l'entreprise d'un seul hit, à son entrée en Bourse. La chute du titre a suivi la désaffection de FarmVille.

Ces jeux vidéo reposant sur un effet viral sont proposés sur les réseaux sociaux et les mobiles par l'entremise des boutiques en ligne Google Play ou App Store. Le téléchargement est gratuit, mais leurs mécaniques addictives incitent fortement le joueur qui s'y pique à acheter des «vies» ou à débloquer des niveaux, à coups de 1$ qui font vite des millions à l'échelle planétaire. Le marché des jeux sur téléphones intelligents représentait plus de 16,5 milliards US en 2013, selon l'institut de recherche IHS.

Fait à noter, le concepteur finlandais de logiciels Rovio, inventeur du célèbre jeu pour téléphones portables Angry Birds, n'a toujours pas succombé à l'appel de la Bourse. L'empire constitué autour du bataillon d'oiseaux en colère contre des cochons cinglés est réputé très rentable grâce à ses produits dérivés.

LA RECOMMANDATION

«C'est très ambitieux et risqué», affirme Rob Enderle, de la firme The Enderle Group, en entrevue à l'Agence France-Presse. Selon l'analyste spécialisé dans le secteur technologique, King Digital Entertainment aura du mal à maintenir une valorisation de l'ordre de 7 milliards US sur la durée. «Les sociétés de jeux n'ont de la valeur que tant que leurs jeux sont populaires. Les gens tendent à se lasser [...], et il y a une tonne de concurrents sur le segment des jeux faciles», destinés à un public plus large que les jeux sophistiqués pour joueurs purs et durs, affirme l'expert qui a déjà été consultant pour Microsoft et IBM.

---------------

LE ROI ET SON FOU

King Digital Zynga

Capitalisation boursière 7,6 milliards US (1) 5,1 milliards US

Chiffre d'affaires en 2013 1,9 milliard US 0,9 milliard US

Bénéfices (pertes) annuels 567,6 millions US (37,0 millions US)

Nombre d'utilisateurs

quotidiens 12,2 millions 27,0 millions

(1) Basé sur un prix initial par action de 24$US