L'heure tourne mais rien n'y fait: les marchés financiers refusent toujours de croire au cataclysme d'un défaut de paiement américain provoqué par le blocage politique régnant à Washington autour du plafond de la dette.

«Ça ne peut pas arriver. Je ne crois pas une seconde à ce scénario», déclarait samedi à Washington Baudouin Prot, le patron de BNP Paribas, une des plus grandes banques mondiales, résumant le sentiment de la planète finance.

Mercredi, à la veille du couperet théorique, les places financières asiatiques et européennes ne montraient pas vraiment d'affolement, malgré l'avertissement lancé mardi soir par l'agence de notation Fitch.

Fitch a placé sous surveillance négative la note AAA de la dette des États-Unis, pays coeur de la finance mondiale et dépositaire de la monnaie de référence autour de laquelle toute la vie économique internationale s'organise, le dollar.

Les Bourses européennes reculaient vers 11h10 GMT (7h10 à Montréal), mais relativement modérément (Paris -0,78%, Francfort -0,17%, Londres -0,55%), tandis que celle de Tokyo a clôturé en légère hausse (+0,18%).

«Les investisseurs restent persuadés qu'un accord sera trouvé avant la limite de demain», selon les analystes d'Alpari, et «une issue positive reste le scénario central», estiment ceux de BNP Paribas.

Warren Buffett, l'oracle d'Omaha, gourou des marchés financiers, avait estimé la semaine dernière sur CNBC: «nous allons aller jusqu'au point extrême de l'idiotie (avec le blocage politique), mais nous n'allons pas aller au-delà».

En l'absence d'un accord pour relever le plafond légal de la dette, la première économie mondiale va entrer dans une zone aussi inédite que dangereuse à minuit mercredi soir: le Trésor ne sera plus autorisé à emprunter et ne pourra plus compter que sur des réserves déclinantes.

Si la limite est dépassée, la sanction ne tombera pas comme un couperet et plusieurs jours devraient s'écouler avant que la situation ne dégénère.

Michael Hewson de CMC Markets UK estime que «vous pouvez être sûr que si nous allons au-delà de la limite, ce qui semble de plus en plus probable, les investisseurs commenceront à se retirer s'il n'y a pas d'accord avant le week-end».

Mais «beaucoup d'acteurs sur le marché s'attendent à un accord de dernière minute, comme fin 2012 lorsque les politiciens ont évité le mur budgétaire», a commenté Ishaq Siddiqi d'ETX Capital.

Roulette russe

Au-delà d'un certain optimisme et de la foi des marchés financiers dans le sens des responsabilités de la classe politique américaine, les opérateurs financiers sont peut-être aussi un peu désorientés: un défaut américain provoquerait une véritable apocalypse financière, aux contours incertains.

«Il n'y a pas de vie après un défaut» de paiement américain, a lugubrement prophétisé le co-dirigeant de Deutsche Bank, Anshu Jain, samedi à Washington.

Effets sur la croissance américaine (et par ricochet sur la croissance mondiale), chambardement sur le marché obligataire, panique boursière, et surtout, conséquences inimaginables sur le marché des changes: l'éventail des maux pouvant frapper la planète finance est vaste.

Et même si finalement, les responsables politiques américains parviennent à un accord a minima, pour s'offrir quelques semaines de répit, ça ne sera que reculer pour mieux sauter.

«Si nous nous retrouvons coincés dans ce jeu qui n'en finit pas où le plafond de la dette est pris en otage par un parti politique ou l'autre, plusieurs choses vont se passer», a résumé sur CNN Mohammed El-Erian, patron de Pimco, le plus grand gérant obligataire au monde.

«D'abord, les gens vont commencer à perdre confiance dans le coeur du système américain. Ils vont mettre en place des moyens de contournement car le coeur du système n'agit plus rationnellement». Ensuite, «la position des États-Unis dans le monde va souffrir». Enfin, «l'économie mondiale va souffrir. Vous ne pouvez pas remplacer quelque chose par le vide, et il n'y a personne qui puisse venir jouer le rôle des États-Unis».

«Le Congrès est en train de jouer à la roulette russe, non seulement avec l'économie américaine, mais avec l'économie mondiale», a dénoncé M. El-Erian.