La bulle de l'or a éclaté hier, éclaboussant les marchés boursiers. Le prix de l'once a décroché brutalement de 140,40$US, ou 9,4% - du jamais vu en 30 ans - pour s'inscrire à 1360,60$US, son plus bas niveau depuis deux ans, cassant ainsi le cycle haussier entamé en 2001. Pis, l'argent perd près de 14% de sa valeur.

La Bourse de Toronto, riche en ressources, accuse durement le coup, et le marché des titres de croissance plus encore. L'indice composé S&P/TSX a chuté de 2,7%, à 12 004,88 points, tandis que celui dédié aux petites capitalisations a culbuté de 6,3%.

Directement visé, Barrick, premier producteur d'or du monde, a perdu 11% de sa valeur tandis qu'Osisko, plus grande société aurifère québécoise, s'est écroulée de 21%. Les 12 titres les plus actifs à Toronto hier sont liés aux métaux précieux.

Les marchés boursiers américains sont aussi frappés. La Bourse de New York enregistre sa plus forte baisse depuis novembre dernier. Le Dow Jones des industrielles a largué 265 points, ou 1,8%, à 14 599, tandis que le S&P 500 a perdu 2,3% de sa valeur.

Les marchés boursiers mondiaux étaient généralement refroidis par l'annonce d'un ralentissement de la croissance chinoise au premier trimestre. Des statistiques américaines également décevantes quant à l'activité manufacturière de la région de New York et la balance des flux de capitaux investis à long terme ont pesé sur la tendance.

La rumeur selon laquelle l'île méditerranéenne de Chypre serait contrainte de vendre une partie de ses réserves d'or pour 400 millions d'euros, dans le cadre de son plan de sauvetage, a particulièrement glacé les acheteurs de titres aurifères. Démentie depuis par le gouvernement de Nicosie, une telle hypothèse a toutefois multiplié les spéculations que certains des plus gros détenteurs d'or du monde, comme les États-Unis, le Japon et l'Italie, également très endettés, doivent vendre leur or pour payer leurs créances.

Qui plus est, Goldman Sachs a recommandé à ses clients d'adopter une position courte sur l'or, c'est-à-dire de parier sur son repli. La firme américaine a abaissé pour la deuxième fois cette année ses prévisions de prix à court terme pour l'or, de 1615$US à 1530$US, la semaine dernière, prévenant que la chute des prix pourrait être brutale.

L'institution financière américaine n'est pas la seule à avoir débusqué la bulle d'or. Au début d'avril, la Société Générale, une des principales banques françaises et une des plus anciennes, a publié une note intitulée «La fin de l'âge d'or» dans laquelle ses stratèges évoquaient déjà une valeur de 1375$US l'once.

Ces prévisions ne doivent pas faire passer inaperçue l'analyse de plus long terme publiée récemment par le Fonds monétaire international (FMI). Pour l'institution de Washington, l'or est toujours dans son cycle haussier entamé en 2001.

C'est aussi le scénario envisagé par l'analyste Steven Butler, de Canaccord Genuity, selon qui les conditions macro-économiques, avec des liquidités mondiales records, de faibles taux d'intérêt réels et la crise de la dette souveraine en zone euro, soutiennent un prix de l'or élevé.

M. Butler prévoit une baisse d'environ 30% des profits des producteurs aurifères canadiens de grande et moyenne importance au premier trimestre par rapport à la même période de l'année dernière, en raison des baisses de 5% du prix de l'or et de 7,6% du prix de l'argent survenues entre-temps. Le deuxième trimestre, au prix actuel des métaux précieux, s'annonce encore plus décevant.

L'analyste de Canaccord note que les actions des minières, comme Osisko, sont «survendues, au point où l'on observe des achats d'initiés à contre-courant».

Sur le plan technique, l'or a ainsi fracassé d'un coup la barre des 1500$US, un premier seuil psychologique et technique critique testé vendredi, puis des 1475 et 1425$US anticipés par les analystes techniques, hier.

L'analyste Dennis Mark, de la Financière Banque Nationale, qui anticipait un rebondissement à ces niveaux, remet en question le cycle haussier et pose la prochaine cible à 1200$US. D'autres analystes notent toutefois que l'indice de force relative des 14 derniers jours présage un redressement prochain. Cet indice, un peu comme un élastique étiré, est de 19 points, nettement sous la marque de 30 points considérée comme un seuil déclencheur.