Fidèle à son habitude, la société Exfo, de Québec, a tenu jeudi son assemblée annuelle hors Québec. Doit-on craindre maintenant que d'autres fleurons québécois lui emboîtent le pas? Toujours est-il que CGI et Cogeco demanderont prochainement à leurs actionnaires d'entériner une résolution leur donnant la possibilité de tenir la rencontre annuelle ailleurs qu'au Québec.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que ces deux sociétés n'ont pas traîné avant de profiter de la souplesse que leur offre la nouvelle Loi sur les sociétés par actions, en vigueur depuis moins de 12 mois. L'ancienne loi provinciale obligeait les sociétés cotées à tenir leur assemblée au Québec. La nouvelle loi, qui compte plus de 700 articles, permet de tenir l'assemblée à l'extérieur de la province à la condition que les statuts de l'entreprise le prévoient.

Le gouvernement du Québec a modernisé sa loi avec la volonté de donner le plus de souplesse aux entreprises. «La nouvelle loi a été conçue non seulement pour que la législation québécoise puisse rivaliser avec la loi fédérale en la matière, mais également pour la surpasser à bien des égards en s'inspirant notamment d'innovations dans la loi du Delaware», expliquait, dans un bulletin de la firme d'avocats Blakes, Me Paul Martel, qui a agi comme consultant expert auprès du ministre des Finances pour la conception et la rédaction de la nouvelle loi.

Mais pourquoi les entreprises s'empressent-elles de se donner la possibilité de rencontrer leurs actionnaires à l'extérieur du Québec? Chez CGI, qui brasse de plus en plus d'affaires aux États-Unis, on assure que c'est simplement une question de mettre à jour le règlement interne de la société de façon à ce qu'il reflète les dispositions de la nouvelle loi. «Ce n'est pas du tout dans nos plans de tenir l'assemblée hors du Québec», se défend Sébastien Barangé, directeur des communications. CGI tiendra son assemblée le 1er février à Montréal.

Chez Cogeco, les motifs sont d'ordre pratique. Cogeco inc., entreprise à charte provinciale, était tenue de tenir son assemblée au Québec. Sa filiale Cogeco Câble, société constituée en vertu de la loi fédérale et qui fait une majorité de ses ventes au Canada anglais, convoquait ses actionnaires dans la Ville reine.

Grâce au changement proposé, Cogeco et Cogeco Câble tiendront dorénavant les deux assemblées simultanément au même endroit. Cette année, c'est le 26 janvier à Montréal. «Ça ne veut pas dire qu'on sera en alternance (Montréal et Toronto) ou quoi que ce soit. On n'annonce rien», précise René Guimond, vice-président, affaires publiques et communications, de Cogeco.

Quel impact sur la participation aux assemblées?

Le rôle de l'assemblée des actionnaires est d'adopter les états financiers annuels, de voter pour les administrateurs de la société, de nommer le vérificateur et de se prononcer sur toute autre question soumise au vote des actionnaires. «Du point de vue gouvernance, les assemblées doivent se tenir là où il y a le plus d'actionnaires, dit Ahmed Naciri, professeur à l'École des sciences de la gestion de l'Université du Québec à Montréal et auteur du Traité de gouvernance d'entreprise. Si le gros de l'actionnariat est au Québec, ce n'est pas logique de tenir l'assemblée ailleurs et de priver les petits actionnaires de leur droit de participer sérieusement aux assemblées parce qu'ils ne s'y rendront pas si elle se tient au loin.»

François Meloche, gestionnaire, risques extra-financiers, de Bâtirente, juge inutile cet éloignement de l'entreprise de sa base québécoise. «C'est plus difficile de défendre une proposition d'actionnaires (quand l'assemblée est) à Toronto pour des raisons de transport», soutient-il. Celui qui a présenté trois propositions d'actionnaires à la dernière assemblée de Couche-Tard ne s'attend pas à des mouvements de masse en direction de Toronto ou des États-Unis.

Mais avec la webdiffusion des assemblées, en quoi est-ce important et pour qui est-ce important de tenir des assemblées d'actionnaires au Québec? Les experts sur la gouvernance à qui nous avons parlé considèrent que la présence en chair et en os a encore son importance en 2012.

«L'assemblée des actionnaires reste le moment de l'année où les yeux sont rivés sur l'entreprise. C'est important que d'autres observateurs (que les actionnaires) puissent y être, notamment dans le cas des entreprises moins accessibles», pense, pour un, François Meloche.

«La présence physique a encore un rôle important parce qu'il y a la dynamique créée par la présence des gens. Sinon, les députés ne se réuniraient plus au Parlement», renchérit M. Naciri.

Affaiblir Montréal

Le professeur Naciri y voit aussi un enjeu d'ordre économique. «Quand on fait des assemblées hors du Québec, on affaiblit la place de Montréal, qu'on le veuille ou non, surtout quand il n'y a pas de contrepartie», dit-il.

À l'exception des banques canadiennes, rares sont les entreprises de l'extérieur du Québec à tenir leur assemblée annuelle à Montréal, fait remarquer l'universitaire. Que restera-t-il si les québécoises décident de plus y tenir les leurs?