Les investisseurs canadiens devront faire preuve d'une grande agilité en 2012, contraints d'oeuvrer dans l'un des pires environnements d'investissement depuis le début 2009, alors que les marchés touchaient le fond du baril au beau milieu d'une récession mondiale déclenchée par la crise financière de Wall Street.

À une semaine de la fin de 2011, la Bourse de Toronto transige avec environ 1500 points de moins qu'au tout début de l'année - une baisse d'environ 11 % -, et environ 2400 points en deçà de son sommet du début mars.

Et aucun des problèmes qui inquiètent tant les investisseurs depuis plusieurs mois ne semble à la veille de s'évaporer - surtout la crise des dettes en Europe, qui ne cesse de s'aggraver et menace de faire sombrer le continent dans une nouvelle récession, ce qui aurait des effets indésirables sur la plupart des autres économies dans le monde, de la Chine au Canada, en passant par les États-Unis.

Mais à quel moment le fond du baril sera-t-il atteint?

Les marchés pourraient encore chuter, croit la gestionnaire de portefeuille Danielle Park. En fait, elle ne serait pas surprise de les voir renouer avec les creux de mars 2009, lorsque le TSX a plongé jusqu'à 7567 points.

Cela représenterait une diminution d'environ 4000 points par rapport au niveau où l'indice de référence du parquet torontois se situait dans les dernières semaines de 2011.

«Le thème principal est le ralentissement de l'économie mondiale», explique Mme Park, qui travaille chez Venable Park Investments à Barrie, en Ontario. «Une récession n'a toujours pas été confirmée et on ne touche pas un creux sur le marché avant qu'une récession ne soit confirmée.»

La plupart des économistes prédisent que l'économie canadienne affichera une croissance de moins de 2 % en 2012, alors qu'elle devra jongler avec la faiblesse en Europe, la lente croissance aux États-Unis et la stagnation des prix des matières premières.

Cette performance économique quelconque n'aidera pas la création d'emplois pour les 1,4 million de chômeurs, et elle ne contribuera pas à réduire le taux de chômage, actuellement de 7,4 %.

Si l'économie mondiale en vient à se contracter, une nouvelle récession privera d'emploi des millions de travailleurs de plus, partout dans le monde, en plus d'affaiblir les bénéfices des entreprises - un des principaux vecteurs de croissance pour les cours des actions.

Prudence recommandée

La firme de Mme Park s'est retirée des marchés boursiers et «en ce moment, nous sommes dans le dollar américain et les obligations, qui ont tous fait de l'argent depuis le début de l'année, et nous attendons une nouvelle grande occasion d'achat (d'actions), probablement en 2012».

Selon elle, il est temps de conserver de l'argent liquide pour être prêt à tirer profit de la prochaine occasion qui se présentera lorsque le marché touchera le fond.

«La moitié de notre argent devrait se trouver dans des dépôts canadiens de grande qualité, comme des certificats de placement garanti ou des obligations canadiennes à court terme», a-t-elle estimé.

«On peut avoir jusqu'à 30 % de cette somme dans des bons du Trésor américains, parce que le dollar canadien s'affaiblit alors que nous approchons de ce nouveau ralentissement, et je crois qu'il est probable que cette situation persiste pendant les quelques prochains mois, ce qui signifie qu'on pourrait réaliser d'importants gains simplement en détenant des bons du Trésor américains sans aucun risque lié au marché.»

Mme Park n'est pas la seule à craindre que des conditions favorables à une récession viennent compliquer la donne pour les marchés en 2012.

«Nous sommes au coeur d'un marché cyclique baissier, alors il y aura un autre gros mouvement de baisse sur les marchés l'an prochain», prévient John Johnston, stratège en chef chez Davis Rea, un gestionnaire de fonds de Toronto.

«Il y a une récession dans l'air, et il vaut mieux d'être prudent.»

Le TSX a connu une bien moins bonne année que les marchés américains en 2011, en raison des reculs opérés par les secteurs des mines, de l'énergie et de la finance. À une semaine de la fin de l'année, l'indice élargi S&P 500 de Wall Street est en voie de clôturer l'année inchangé par rapport à sa valeur au début de l'année, tandis que la moyenne Dow Jones des valeurs industrielles a progressé de 5,8 pour cent dans les 12 derniers mois.

Crise dominante en Europe

Depuis que le TSX a passé la barre des 14 000 points il y a près de 10 mois, le marché a fléchi avec constance. La crise en Europe s'est mise à dominer de plus en plus le sentiment du marché, pendant que la situation empirait et que les gouvernements adoptaient des mesures d'austérité de plus en plus sévères pour tenter de contrôler leurs dettes.

Les investisseurs ont aussi développé une certaine frustration vis-à-vis de l'apparente réticence des politiciens à mettre en place un plan convaincant pour régler rapidement le problème.

La plupart des pays de l'Union européenne ont accepté en décembre un traité visant la création d'une nouvelle autorité centrale qui superviserait les budgets et imposerait un contrôle plus serré des dépenses de ses membres.

Mais il s'agit d'un processus de longue haleine et plusieurs ont été déçus que rien de plus ne soit fait pour rassurer les marchés financiers dans l'immédiat. Certains auraient notamment aimé voir la Banque centrale européenne accélérer son rachat d'obligations des pays les plus lourdement endettés, comme l'Italie et l'Espagne, pour tenter de garder leurs coûts d'emprunt à un faible niveau.

«Cela nous laisse avec un problème à court terme et c'est clairement ce qui s'est remis à inquiéter le marché», observe Kate Warne, spécialiste des marchés canadiens chez Edward Jones, à St. Louis.

«Les décideurs n'ont pas le luxe de prendre le temps qu'ils voudraient, et les marchés sont très exigeants et aimeraient que quelque chose survienne plus tôt que tard, parce qu'ils ont laissé cela aller pendant beaucoup trop longtemps.»

Il est difficile de prévoir comment les plus vaillants titres du TSX pourront faire grimper la Bourse en 2012, alors que les cours des matières premières s'affaiblissent et que les profits des banques vont nulle part.

Par exemple, avec sa croissance économique de plus de 10 %, la Chine a été un énorme pilier pour l'économie mondiale et pour le parquet torontois - à forte teneur en ressources naturelles. Sa forte demande pour le pétrole et les métaux a permis aux secteurs de l'énergie et des mines d'afficher de solides gains, mais la croissance chinoise a reculé sous la barre des 10 % lorsque le gouvernement du pays a délibérément ralenti l'économie dans l'espoir de refroidir l'inflation, particulièrement celle des prix des aliments.

Le gouvernement chinois a indiqué, plus tôt en décembre, des plans pour assouplir les prêts pour la première fois en trois ans, dans le but d'encourager la croissance. Mais la demande chinoise pour les matières premières sera sûrement ralentie par la faiblesse des exportations en Europe, son plus grand marché, où plusieurs pays sont déjà de retour en récession.

«Ils réalisent qu'ils ne peuvent pas être le géant des exportations qu'ils étaient si une grande partie du monde où ils exportent leurs biens est si endettée qu'elle ne peut pas croître et continuer à acheter au même rythme», note John Stephenson, gestionnaire de portefeuille chez First Asset Funds.

Peut-être une croissance timide en 2012

Quant aux banques canadiennes, elles ont connu une difficile année 2011, cédant du terrain dans un environnement difficile pour leurs divisions des marchés des capitaux et se retrouvant malgré elles au coeur des craintes vis-à-vis d'une éventuelle défaillance désordonnée dans la zone euro et de ses conséquences pour le système financier mondial.

John Johnston note en outre que les banques canadiennes font face à des vents contraires sur la scène nationale, dans un contexte où la dépréciation des conditions économiques alimente le taux de chômage, privant de travail des Canadiens endettés qui risquent de ne pas être capables de régler leurs comptes.

Entre-temps, même les attentes les plus optimistes sont extrêmement modestes pour le parquet torontois.

«Malgré une année de difficultés économiques en Europe, je suis confiant de voir les marchés boursiers croître en 2012», avance Bob Gorman, stratège en chef des portefeuilles chez TD Waterhouse.

«Nous connaîtrons probablement une croissance relativement faible dans un environnement de faible inflation, ce qui devrait favoriser les actions des entreprises avec de fortes valeurs boursières, qui génèrent une bonne partie du rendement total avec des dividendes substantiels.»

M. Gorman s'attend à une croissance modérée tant pour l'économie en général que pour les profits des entreprises, ce qui permettrait au TSX d'afficher une croissance d'entre cinq et dix pour cent l'an prochain.

Le stratège entrevoit aussi de meilleurs résultats pour les marchés émergents en 2012, ce qui pourrait avoir un impact favorable sur le TSX si des pays comme la Chine devaient avoir besoin de davantage de pétrole et de métaux.